Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney

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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I - Constantin-François Volney


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n'a pas trouvé de matériaux suffisants à cet égard..... D'ailleurs la période des juges n'était pas dans son plan: l'auteur du livre des Rois ne nous semble pas avoir été plus heureux.

      Le temps écoulé en Égypte est une autre période obscure sur laquelle le Pentateuque ne fournit point de documents admissibles. Selon l'Exode (ch. 12, v. 40), ce temps fut de 430 ans; mais outre que ce calcul est entièrement dénué de preuves, il est encore incompatible avec le nombre de 2 ou 3 générations que veulent compter les Évangiles, et même avec les quatre que nous donne la Genèse dans la vision où Dieu dit à Abraham, «que sa race, pendant 400 ans, servira un peuple étranger, et qu'à la 4e génération (seulement), elle reviendra posséder le pays de Kanaan86.» Il est impossible d'admettre 100 ans pour une génération, et outre que cette prophétie est évidemment faite après coup, comme nous verrons celle de Jacob et de Nohé, il est apparent que l'auteur n'a pas eu d'autres renseignements que ceux de l'Exode, qui sont nuls.

      Josèphe qui eut sous les yeux87 des chroniques égyptiennes, ne compte que 230 ans; et ce nombre qui avoisine la moitié de 430, viendrait à l'appui de notre opinion pour les années de 6 mois; nous aurions encore en notre faveur l'emploi inverse qu'il en fait lorsqu'il donne à Salomon 80 ans de règne au lieu de 40, et nous dirions que l'ancien usage se serait conservé dans quelque chronique qu'il aurait consultée88; au reste, en admettant les années de 6 mois, le séjour en Égypte n'en reste pas moins un temps incertain, inconnu.....; et l'ignorance où nous laisse le Pentateuque sur l'emploi de ce temps, est une nouvelle preuve que Moïse n'est pas l'auteur de ce livre: il eût eu, et il nous eût donné, à cet égard, des renseignements qui ont manqué à Helqiah: cette observation s'applique encore mieux aux 40 années du désert, dont 38 se passent dans un silence absolu; car entre les chap. 9, 11, 13, 14 du livre des Nombres, où il est parlé des événements arrivés l'an 2, et le chap. 20 du même livre, où les Israélites se trouvent près d'entrer en Kanaan (l'an 40 de la sortie d'Égypte), il y a une lacune manifeste, que le Deutéronome répète et rend plus sensible dans la fin du chap. 1er jusqu'au verset 14 du chap. 2, et cette lacune, qui ne saurait avoir existé dans le Journal de Moïse, s'explique naturellement de la part de Helqiah, soit que réellement il ait manqué de documents sur l'emploi de ce temps, soit qu'il ait volontairement supprimé des détails qui eussent contrarié d'autres parties de son travail, et indiqué, par exemple, l'usage des années de 6 mois.

      Ainsi nous nous voyons sans cesse ramenés à nos deux propositions fondamentales, savoir:

      «Que Moïse n'est point l'auteur du Pentateuque, et que Helqiah est cet auteur indiqué par une foule de circonstances.»

      CHAPITRE XI.

      Examen de la Genèse en particulier

      POUR rendre à Moïse ce qui peut lui appartenir dans cette composition, il faut la diviser en deux parties; l'une, la partie religieuse et législative, contenant les ordonnances de rites et de cérémonies, les préceptes, commandements et prohibitions qui constituent la loi de Moïse, et que l'on trouve répandus dans l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome; l'autre, la partie purement historique et chronologique qui expose les faits, leur série, la manière dont ils sont arrivés; et celle-là dont le début est au 1er chapitre de l'Exode, est le travail du grand-prêtre Helqiah, qui en a fait la rédaction d'après les écrits et monuments anciens dont il a pu disposer. Le livre de la Genèse se trouve ici dans un cas particulier; car, bien qu'il soit un livre historique, l'on ne saurait le considérer comme appartenant aux Juifs, ni comme un livre national, puisque son sujet comprend un espace de temps où ce peuple n'existait pas; où il n'avait point d'archives, et ne pouvait rien conserver..... Or, si depuis Moïse, dans toute la période des juges, les Juifs en corps de nation n'ont point eu ou n'ont point su conserver d'annales; si avant Moïse, le temps de leur séjour en Egypte, dans un état de servitude qui exclut tout autre soin, est resté dans une profonde obscurité faute de monuments, comment se pourrait-il qu'ils eussent conservé des annales antérieures, surtout des annales aussi détaillées que celles des anecdotes de la vie de Joseph, de son père Jacob et d'Abraham leur souche commune? Et quand ce point serait accordé, alors qu'Abraham, de leur aveu, naquit Chaldéen, tout ce qui précède cet homme, vrai ou fictif, n'est-il pas un récit chaldéen, uniquement fondé sur les traditions et les monuments des Chaldéens? La Genèse, du moins au-dessus d'Abraham, n'est donc pas une histoire juive, mais un monument que les Juifs ont emprunté d'un peuple étranger, qu'ils ont reconnu pour leur aïeul..... Or, comment a pu se faire une telle naturalisation, surtout lorsqu'un article de ce livre paraît contraire à la loi de Moïse? Voilà un problème absolument inexplicable dans le système des opinions reçues, mais il s'explique naturellement dans le nôtre.

      Le grand-prêtre Helqiah ayant conçu le projet de ranimer la ferveur des Juifs, de retremper leur esprit national, en ressuscitant la loi de Moïse, put croire que son dessein ne serait pas assez rempli, s'il ne publiait que le code des rites et ordonnances des 4 livres. C'était la mode alors d'avoir des cosmogonies, et d'expliquer l'origine de toutes choses, celle des nations et celle du monde; chaque peuple avait son livre sacré, commençant par une cosmogonie: les Grecs avaient la Cosmogonie d'Hésiode; les Perses, celle de Zoroastre; les Phéniciens, celle de Sanchoniaton; les Indiens avaient les Vedas et les Pouranas; les Égyptiens avaient les 5 livres d'Hermès, portés solennellement dans la procession d'Isis, que décrit Clément d'Alexandrie. Helqiah voulant donner aux Juifs un livre qui leur servît d'étendard, et, pour ainsi dire, de cocarde nationale, trouva nécessaire d'y joindre une cosmogonie. L'inventer de son chef eût compromis tout l'ouvrage; son peuple, d'origine chaldéenne, avait conservé plusieurs traditions maternelles; Helqiah, qui comme Jérémie, son agent, penchait politiquement pour la Chaldée de préférence à l'Égypte, adopta avec quel quelques modifications la cosmogonie babylonienne; voilà la source vraie et radicale de la ressemblance extrême que l'historien juif, Josèphe, et les anciens chrétiens ont remarquée entre les 11 premiers chapitres de la Genèse et les antiquités chaldaïques de Bérose, sans que ces auteurs aient élevé le moindre soupçon de plagiat. Le droit d'aînesse des Chaldéens et l'antiquité de leurs monuments étaient alors trop notoires pour que personne imaginât qu'un peuple aussi puissant, aussi fier de ses arts et de ses sciences que les Babyloniens, eût emprunté les traditions mythologiques d'une petite tribu qu'il regardait comme schismatique et rebelle, et qu'il avait rendue son esclave. Aujourd'hui que par la bizarrerie des révolutions humaines, toute la gloire de Babylone a disparu comme un songe, et que Jérusalem couverte de ruines, de chaînes et de mépris, voit l'univers soumis à ses opinions, il est devenu facile de récuser des témoins qui n'ont plus de représentants, de réfuter des écrits dont il ne reste plus que des morceaux incohérents: cependant, si l'on recueille et confronte ces morceaux, on y trouve encore de quoi persuader tout esprit impartial de l'identité des cosmogonies juive et chaldéenne; et de faire sentir que le système faussement attribué à Moïse, a été un système commun à beaucoup de peuples de l'ancien Orient, et dont on retrouve des traces jusqu'au Thibet et dans l'Inde..... Nous ne prétendons point approfondir ce sujet, qui serait la matière d'un gros volume; mais par quelques exemples nous voulons prouver jusqu'à quel point une analyse exacte pourrait porter l'évidence..... Citons d'abord le témoignage de l'historien Josèphe, qui, vu son caractère, est du plus grand poids dans cette question.

      CHAPITRE XII.

      Du Déluge

      D'ABORD, dans la défense du peuple juif contre les attaques d'Appion89, recueillant les témoignages répandus dans les écrits de diverses nations, «maintenant, dit-il, j'interpellerai les momuments des Chaldéens, et mon témoin sera Bérose, né lui-même Chaldéen, homme connu de tous les Grecs qui cultivent les lettres, à cause des écrits qu'il a publiés en grec, sur l'astronomie et la philosophie des Chaldéens. Bérose donc, compulsant et copiant les plus anciennes histoires, présente les mêmes récits que Moïse, sur le déluge, sur la destruction des hommes par


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<p>86</p>

Genèse, chap. 15.

<p>87</p>

Josèphe, Antiq. jud., liv. II, ch. 6 et 15.

<p>88</p>

Voyez Mémoires de l'Acad. des Inscrip., tome XXXIV, un Mémoire de Gibert sur les années des Juifs.

<p>89</p>

Contre Appion, liv. I, § XIX.