Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney

Читать онлайн книгу.

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I - Constantin-François Volney


Скачать книгу
ou le début de janvier: les circonstances de la grêle n'y seraient point discordantes, lors même que l'on supposerait exact tout ce récit; ce qui ne peut s'admettre, vu les prodiges magiques qui y sont joints. Nous avons donc lieu de croire qu'à l'époque de Moïse, l'année commençait au solstice d'hiver, selon un usage des Égyptiens, dont ce législateur emprunta beaucoup d'idées. Cependant tous les livres juifs, y compris le Pentateuque, indiquent que l'année commençait à l'équinoxe du printemps..... Ce n'est pas tout....., le livre intitulé Josué, écrit sur des matériaux anciens, et rédigé, à ce qu'il semble, avant le temps de Salomon, porte un autre passage tout-à-fait contraire à celui-ci. On y lit:78 «que Josué, devenu chef, s'approcha du Jourdain pour le passer; qu'il trouva cette rivière gonflée, parce que le Jourdain au temps de la moisson, a coutume de remplir son lit; et que le peuple le traversa le dixième jour du premier mois79.» Notez ces circonstances; le peuple passe le Jourdain le dixième jour du premier mois, et le Jourdain est gonflé parce que c'est son usage au temps de la moisson; ce qui a encore lieu de nos jours, à raison de la fonte des neiges. L'année commençait donc à cette époque: or, la moisson dans le pays de Jéricho se fait, selon Josèphe80, 14 jours avant le pays de Jérusalem; et dans ce pays, comme dans la Palestine, elle a lieu vers la fin de mai: tout est fini du 1er au 5 juin. La date du passage est donc indiquée vers le solstice d'été; et cette date, vu l'importance du fait, a dû être notée et conservée même par la tradition.

      Nous avons ici deux textes clairs et positifs, indiquant chacun le commencement de l'année à une époque différente; l'une au solstice d'hiver, l'autre au solstice d'été. D'où peut venir une telle contradiction? Selon nous, elle vient de ce qu'à l'époque de Moïse et de Josué, les Hébreux avaient une manière de compter le temps, qui fut changée sous le régime obscur et anarchique des juges; et que le grand-prêtre Helqiah en rédigeant son livre, a fait disparaître la méthode des temps anciens et des livres originaux, parce qu'elle n'était plus d'usage et qu'elle eût contrarié ses récits en d'autres occasions, spécialement à l'occasion du déluge. Notre opinion pourra sembler singulière à quelques lecteurs; mais ceux qui connaissent certains passages de Pline, de Plutarque, de Macrobe, et surtout le Traité de Censorin, de Die natali, pourront admettre avec nous, que les Hébreux, dans l'origine, ont été du nombre de ces peuples qui ne mesuraient point le temps par la double révolution du soleil dans l'écliptique, et qui trouvaient plus simple d'employer de moindres révolutions de cet astre ou de la lune, telles que les mois, les saisons de 3 mois, et la durée de 6 mois que le soleil met à se rendre d'un tropique à l'autre, ou de l'un à l'autre équinoxe: de là est venue l'expression singulière d'années d'un mois, d'années de trois mois, d'années de six mois, dont les anciens citent beaucoup d'exemples.

      «L'an le plus ancien usité en Egypte, dit Censorin81, fut de 2 mois: Orus le fit de 3; le roi Pison le porta à 4. Les Cariens et les Arcarnaniens ont eu des années de 6 mois; les Arcadiens des années de 3 mois, etc.

      «Chez les anciens, dit Pline82, l'année a eu des valeurs bien différentes de celle que nous lui donnons aujourd'hui; les uns faisaient un an de l'été et un an de l'hiver; d'autres, comme les Arcadiens, composaient l'année de 3 mois; d'autres, comme les Égyptiens, avaient des années d'un mois.»

      En raisonnant d'après ces exemples, qu'il nous serait facile de multiplier83, nous pensons que les Hébreux eurent d'abord des années de 6 mois, prises d'un solstice à l'autre84. Le passage de Josué que nous avons cité, et ceux de l'Exode relatifs aux cailles, en offrent l'indication formelle; et nous en trouvons d'autres indices dans l'analyse de quelques autres faits de l'Histoire des Juifs. Par exemple, au temps de Moïse, le Pentateuque donne pour terme ordinaire et moyen de la vie humaine, 120 ans de 12 mois: Moïse meurt à cet âge; Josué vit 110 ans; Amram, 137; Caat, fils de Lévi, 133, etc. Cet état prodigieux est d'autant moins admissible, qu'environ 4 siècles plus tard, David dit expressément «que 70 ans sont le terme habituel de la vie humaine, et qu'au delà ce n'est qu'infîrmité et misère85.» Supposons qu'il y ait équivoque de mots, et qu'au temps de Moïse l'année fut de 6 mois, tous les âges cités se réduiront à l'état naturel, tel que l'indique David, et que nous le voyons encore réglé par l'organisation de l'homme; Moïse aura vécu 60 de nos années, Josué 55, Amram 68½, etc. A l'appui de notre idée vient la remarque faite par dom Calmet, que les Juifs semblent n'avoir connu que deux saisons, puisque leurs anciens livres ne nomment jamais que l'hiver et l'été; lesquels présentent cette division de l'année solaire en deux parties, comme nous le disons.

      Un fait cité dans le livre de Josué, ch. 14, v, 6, vient à l'appui de notre opinion. Kaleb, fils de Iephoné, dit à Josué:

      «Tu sais que j'avais 40 ans lorsque Moïse m'envoya avec toi reconnaître le pays des Kananéens: il y a environ de cela 45 ans..... Maintenant je suis âgé de 85, et je suis aussi fort que j'étais alors; j'ai la même vigueur pour combattre et pour marcher..... Donne-moi, pour mon partage, cette montagne d'Hébron que Moïse m'a promise.»

      (Ch. 15, v. 13). Josué ayant donné ce lot à Kaleb, celui-ci marcha avec ses parents pour s'en emparer. «Je donnerai, dit-il, ma fille à celui qui prendra Kariath Sepher; et Othoniel, fils de Kenez, frère cadet de Kaleb, prit la ville d'assaut, et il eut sa cousine Oxa pour épouse.»

      Si dans ce récit on prend les 85 ans de Kaleb pour des années de 12 mois, sa vigueur est hors de vraisemblance; bien plus, le mariage de sa fille avec son neveu est une autre circonstance choquante, en ce que ce même neveu (Othoniel) après la mort de Josué, après celle des vieillards, après 8 ans d'oppression de Cusan, chasse ce roi et gouverne pendant 40 ans; il en eût vécu plus de 100. Prenons-les pour des années de 6 mois, tout devient naturel. Kaleb partit âgé de 20 ans (moitié de 40), et il est dit qu'il était le plus jeune avec le jeune Josué, serviteur de Moïse..... 22½ après (moitié de 45) Kaleb, âgé de 42½, est aussi vigoureux qu'à 20 ans, et cela est naturel..... Il donna sa fille âgée de 16 à 18 ans, au fils de son frère cadet: ce frère put être âgé de 40 à 41 ans, son fils Othoniel put en avoir 20, tout cela est dans l'ordre.....; et il put, 20 ou 30 ans après, gouverner encore 20 ans (moitié de 40), sans être âgé de plus de 60 à 70.

      Une seule objection raisonnable se présente. «Si des années de 6 mois eurent lieu sous Moïse, pourquoi ses lois font-elles une mention expresse des fêtes placées au 7e mois?» Par exemple au Lévitique (ch. 23, v. 27), il est dit: «Au premier jour du 7e mois vous célébrerez une grande fête.....; le 10e jour du 7e mois sera la fête des expiations, et le 15e sera la fête des tentes ou tabernacles.....: ce jour, en recueillant le produit de la terre, vous prendrez les fruits du plus bel arbre, etc.»

      Nous répondons que cela est une conséquence naturelle de la refonte des livres originaux, faite par Helqiah, et de la réforme qui s'introduisit tacitement dans le calendrier au temps des juges.... Helqiah écrivant selon les usages de son temps, a fait disparaître les expressions anciennes et autographes qu'avait pu employer Moïse; et quant à la célébration de la Pâque qui, dans notre hypothèse, ne revient que tous les deux ans, rien n'empêche que Moïse l'ait désignée par le passage du soleil dans le signe du bélier, et que connaissant l'année de 12 mois, employée par les Égyptiens, ses maîtres, il se soit conformé à l'usage populaire des Hébreux dans la désignation des fêtes.

      A l'égard de la réforme que nous disons s'être introduite tacitement an temps des juges, elle a dû réellement se faire, et elle a pu se faire sans laisser de traces apparentes, à raison de l'anarchie et du défaut de monuments; car le livre des Juges n'est pas une chronique. Cette réforme expliquerait très-bien la surabondance d'années que donne ce livre dans les sommes partielles; les prèmiers juges et les premières servitudes ayant compté des années de 6 mois, il


Скачать книгу

<p>78</p>

Chap. 3, v. 1, 15.

<p>79</p>

Chap. 4, v. 19.

<p>80</p>

De Bello judaico.

<p>81</p>

Censorinus, de Die natali par Lindenbroq. Cantabrigiæ, 1695, in-12, chap. 19. Et in Ægypto antiquissimum ferunt annum bimestrem fuisse; deinde a Pisone rege quadrimestrem factum. Dîodore, liv. I, pag. 22, dit, d'un mois, d'accord avec Plutarque, Pline, Augustin, Varro et Proclus. Item in Achaiâ, Arcades trimestrem habuisse; Cares autem et Acarnanes semestres habuerunt annos, et inter se dissimiles quibus alternis dies augescerent aut senescerent, eosque conjunctos veluti trieterida annum magnum.

<p>82</p>

Hist. nat., lib. VII, cap. 49.

<p>83</p>

Voyez Plutarque, de Numa; Diodore, lib. I, Varron; Proclus, Comment. in Timeum.

<p>84</p>

Cela serait d'autant plus naturel, que n'étant point laboureurs, mais pâtres errants, ils n'avaient pas besoin du calendrier écliptique.

<p>85</p>

Lorsque ce roi, fuyant Absalon, passe le Jourdain, il est accueilli par un vieillard de 85 ans, que l'historien peint décrépit, tel qu'il serait de nos jours.