Autour de la table. George Sand

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Autour de la table - George Sand


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que les flots de la mer l'accablent; et ce qu'il aura vu, ce qu'il aura senti, il vous le dira au retour; mais ne lui demandez pas au départ ce qu'il vous rapportera de sourires ou de larmes, d'enthousiasme ou de désolation. Il ne s'appartient pas. Si son âme est souffrante, il remplira de deuil l'univers qui le force à chanter en mineur ou en majeur, selon l'accord de sa lyre. S'il est heureux pour un moment, la création lui révélera son éternelle beauté, son éternelle sagesse; mais n'exigez pas que demain confirme aujourd'hui, ni qu'aujourd'hui soit la conséquence apparente d'hier.

      L'âme du poëte est mobile; si elle renfermait Minerve tout armée, elle ne serait plus inspirée. Elle est faible et changeante à votre point de vue: c'est-à-dire qu'elle est douée d'une force et d'une ténacité dont vous ne pouvez distinguer et définir la source cachée. Il y a en elle un mystère qui échappe à votre analyse et que peut seule vous révéler l'âme qui possède et subit cette fatalité, tantôt délicieuse, tantôt effroyable.

      —Est-ce à dire, demanda Théodore, que le poëte soit un souverain absolu, irresponsable? C'est admettre une royauté de droit divin contre laquelle je vous avertis que je me révolte absolument.

      —Oh! vous êtes libre de vous révolter, s'écria Julie. La poésie manque absolument de mouchards et de gendarmes pour s'imposer aux récalcitrants; c'est ce qui fait la force de son empire.

      Le droit du poëte est toujours inoffensif, puisque chacun peut s'y soustraire. L'usage bon ou mauvais de ce droit est le châtiment ou la récompense de celui qui l'exerce. S'il ne soufflait que fureur et désespoir, il rétrécirait son influence à celle des passions du moment; mais quand il fait rayonner le beau et le vrai, il l'étend à jamais à toutes les âmes. Quand la sienne est foncièrement belle et magnanime, ses amertumes passent, Dieu les dissipe, et l'humanité toute entière reçoit le bienfait de son inspiration.

      —A la bonne heure! répondit Théodore; l'Apocalypse est une splendide vision, mais elle se complaît dans trop de châtiments qui font Dieu vindicatif et méchant. Saint Jean en rappela et prêcha l'amour, après eu avoir prêché la colère.

      —C'est, lui dit Julie en riant, qu'il avait trouvé sa synthèse. Est-elle moins belle et moins vraie, parce qu'il a prédit la chute des étoiles?

      —Je crois, dis-je à mon tour, que nous arrivons à être tous d'accord. Théodore nous accorde que les sibylles et les prophètes sont des esprits très-orageux, et qu'ils n'en sont pas moins une grande famille d'inspirés. Il me semble que Julie nous accorde aussi quelque chose: c'est que l'inspiration est un trépied ou la vérité ne se révèle pas à tout moment sereine et lucide, et que l'homme, quelque puissant, quelque excité qu'il soit, est toujours cet être obscur et torturé dont le poëte lui-même nous exprime la douleur et la misère avec des cris si profonds et si vrais. Donc ce poème, cette vie si troublée, si ondoyante et diverse, comme eût dit Montaigne, est une suite de crises fatidiques où l'effort gigantesque retombe parfois sur lui-même en magnifiques divagations. C'est à ce prix que la lumière est aperçue dans de meilleures jours, et c'est alors que le poëte trouve de ces clartés grandioses qui couronnent son oeuvre et qui tout à coup le mettent d'accord avec les plus grands et les plus sérieux penseurs de l'humanité. Laissez-le donc lancer ces sinistres éclairs qui s'éteignent trop vite à votre gré dans d'imposantes ténèbres. Ardent et sombre par la nature de son génie, il a la flamme des volcans, leurs mystères effrayants, leurs terribles explosions, leurs fêtes infernales; mais ramené à Dieu par la douleur, après des crépuscules d'une suave mélancolie, il a des splendeurs de soleil. La sérénité de l'espérance ne peut habiter facilement cette âme froissée. Ne lui demandez pas les molles quiétudes de l'inexpérience, les faciles mansuétudes de l'oubli. C'est un archange foudroyé qui parle en elle, et ses heures de soumission sont comptées. Il est né pour la lutte, il luttera toujours; mais sa logique ardente consistera à savoir triompher toujours des noires pensées et des amers abattements qui le torturent. L'humilité chrétienne n'est pas son fait. Il est trop fort pour se soumettre avant d'avoir trouvé à sa soumission une raison supérieure. Écoutez-le constater la fatalité des choses suprêmes:

      Je sais que vous avez bien autre chose à faire

       Que de nous plaindre tous,

       Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,

       Ne vous fait rien, à vous!

      * * * * *

      Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,

       Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum,

       Que la création est une grande roue

       Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un.

      * * * * *

      Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses,

       Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit;

       Vous ne pouvez avoir de subtiles clémences

       Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit!

      Voilà, sons la forme de la résignation un amer et sublime reproche que sentent bien ceux qui ont vu la grande roue du destin écraser l'objet de leurs plus saintes amours. Mais le poëte qui ose interroger Dieu et commenter ses arrêts implacables, reçoit de Dieu même une sublime réponse au fond de son coeur, et il s'écrie tout à coup:

      Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues,

       Au fond de cet azur immobile et dormant,

       Peut-être faites-vous des choses inconnues,

       Où la Couleur de l'homme entre comme élément!

      —Attendez! nous dit alors Louise; nous voici arrivés, vous et moi, je pense, aux mêmes conclusions. Moi aussi, j'ai lu tout le livre dans la journée; j'ai été si bouleversée et si pénétrée, que j'ai écrit à l'auteur sous le coup de mon émotion.

      —Quoi, mère! dirent les jeunes gens, vous avez écrit à Victor Hugo que vous ne connaissez pas? Montrez-nous votre lettre!

      —Va la chercher sur la table, me dit-elle, et tu nous la liras. Je n'ai jamais eu l'intention de la lui envoyer. Les gens célèbres sont écrasés de lettres indiscrètes. La mienne m'a soulagée; peut-être résumera-t-elle votre conversation.

      Voici la lettre de Louise; elle avait pour épigraphe les vers que je venais de citer:

      Peut-être faites-vous des choses inconnues,

       Où la douleur de l'homme entre comme élément!

      «Ne dites plus peut-être, ô poëte! Cette chose inconnue, c'est un monde meilleur, c'est un doux paradis parmi tous ces astres que votre génie peuple d'êtres plus ou moins punis, plus on moins rachetés. Oui, parmi ces mondes innombrables, où la vie prend tous les modes et toutes les formes de l'existence, il en est un pour nos enfants morts, pour ces êtres appelés dans toute la fleur de leur innocence et de leur beauté. C'est un monde heureux et plus élevé dans la sphère de l'esprit que le nôtre. Nos larmes, qui sont des prières, et notre foi, qui est un mérite, nous donneront le droit d'y pénétrer pour les y revoir. Elles sont le ciment du pont invisible jeté sur les abîmes du ciel entre cet Éden et notre terre d'exil.

      «Vous le savez, vous l'avez dit, et vous l'avez dit comme personne au monde ne saurait le dire: nos désirs et nos aspirations sont, au-delà de ce monde étroit qui nous retient, le vrai monde, le monde réel; nos malheurs et nos désastres ici-bas sont le rêve qui passe; les choses célestes que nous croyons rêver sont le monde durable et assuré; et le jugement qui nous emporte vers les régions funestes ou délicieuses de l'univers, c'est notre liberté qui le prononce, c'est notre élan qui imprime la direction de notre vol. Sous des figures et des symboles divers, cette croyance est celle de tous les grands esprits de tous les temps, des grands philosophes, des grands saints et des grands poëtes. C'est celle de Byron et la vôtre; et quand votre pensée entrevoit cet espoir et s'y élance, elle est une puissante autorité de plus dans la somme de nos croyances et dans le trésor de notre foi.

      «Songez-y,


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