Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1 - George Gordon Byron


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Le brave Stanhope et quelques autres aveugles Philellènes les pressaient, quand l'insurrection était déclarée, de s'occuper, avant tout, de rendre les Grecs dignes de la liberté, de la liberté constitutionnelle, et, je crois même, représentative! À les entendre, il fallait transformer les aumônes de toutes les ames généreuses en imprimeries, en livres, en cartes géographiques, en mappes, etc. On sent que ces recommandations étaient accueillies avec ardeur; le commerce européen saluait l'aurore d'une liberté qui s'alliait si bien avec l'intérêt industriel, et les pauvres Grecs, sans artillerie, sans solde, perdaient chaque jour quelque chose de leur enthousiasme.

      «J'avoue, disait Lord Byron, que je ne puis comprendre l'usage des presses d'imprimerie pour un peuple qui ne sait pas lire. Le comité nous envoie des mappemondes; mais il suppose donc qu'en venant en Grèce j'ai l'intention d'ouvrir un cours de géographie? On donne des livres à des gens qui manquent de fusils; ils implorent des sabres, et le comité leur adresse des caractères typographiques! Son secrétaire, M. Bowring, m'écrit une longue lettre sur la terre classique de la liberté, le berceau des arts, la source du génie, le séjour des dieux, le ciel de la poésie, et je ne sais quelle centaine d'autres belles choses. Je lui ai répondu de manière à le dissuader de m'écrire une seconde fois sur le même ton. Assez de bavardage, lui dis-je, mais au fait, au fait. Depuis ce tems, je n'entends plus parler de lui8

      Rien ne donnait plus d'humeur à Byron que ce déplorable aveuglement; mais il ne faut pas croire que tous ces démêlés fissent naître aucun refroidissement entre lui et les autres défenseurs de la Grèce. La liberté de la presse ayant été votée par le gouvernement, Lord Byron contribua à la formation des imprimeries pour plus de cinq cents louis; mais il profita de l'occasion pour se plaindre avec force de l'inaction dans laquelle on laissait languir les guerriers. Il avait, en arrivant à Missolonghi, après avoir payé les arrérages de la flotte, pris à sa solde cinq cents Souliotes d'élite, dans l'espoir de bientôt employer ces braves gens à quelque entreprise périlleuse; mais le gouvernement, qui lui supposait des trésors inépuisables comme sa générosité, tremblait de lui voir exposer sa vie et faisait, avec une lenteur condamnable, les préparatifs de la campagne. Mavrocordato ne put toujours résister, et il fut décidé qu'aussitôt l'arrivée de l'artillerie sous les ordres du capitaine Parry, Lord Byron s'avancerait contre le château de Lépante, à la tête de trois mille Souliotes.

      Malheureusement, le capitaine Parry et son artillerie se firent long-tems attendre: tandis qu'on laissait ainsi perdre un tems précieux, les Souliotes, guerriers sauvages et indomptables, se livraient, dans les rues de Missolonghi, à toutes sortes d'excès. Habitués à une guerre d'escarmouches, ils accusaient Lord Byron de vouloir les mener au combat contre des pierres; et quand le capitaine Parry arriva, leur mécontentement était à son comble. Byron menaça de les licencier; mais, de leur côté, les soldats de l'artillerie, nouvellement arrivés, refusaient de marcher avant de recevoir une partie de leur solde. Il fallut remettre le siége de Lépante à un tems plus favorable.

      L'irritation continuelle que lui causaient tant de contre-tems, fut la première cause du dérangement de sa santé, naturellement assez délicate. Le 15 février, il se trouvait chez le colonel Stanhope, quand tout à coup on remarqua une violente altération dans ses traits. Il voulut faire quelques pas, ses jambes refusèrent de se mouvoir; on le transporta sur un lit: il y resta, pendant quelques minutes, en proie à une effrayante attaque de nerfs, qu'il faisait des efforts inouïs pour surmonter. Enfin, il revint à lui; mais le même accident se renouvela quatre fois dans l'espace d'un mois. Il ne put remonter à cheval, et reprendre ses travaux habituels, que dans les derniers jours de mars. Comme le climat de Missolonghi était trop humide pour lui, un habitant de Zante le conjura de venir habiter durant quelque tems sa maison de campagne. Byron lui répondit: «Je ne puis quitter la Grèce tant qu'il y aura une chance, même douteuse, de mon utilité. Il y va d'un enjeu qui vaut des millions d'hommes tels que moi, – et tant que je pourrai me soutenir le moins du monde, je soutiendrai la cause. Tout en parlant ainsi, je suis parfaitement averti des dissensions et des défauts des Grecs, mais tous les gens raisonnables doivent les comprendre et les excuser.»

      Le siége de Lépante avait été remis après la tenue d'un nouveau congrès à Salone, auquel devaient assister Mavrocordato, Byron, Stanhope et Odysseus. Malgré tant de chagrins et de désappointemens, le cœur de Byron était toujours le même. On lit dans une de ses dernières lettres adressées à M. Bowring, secrétaire du comité grec de Londres: «Moi (Lord Byron), prie M. B. de presser l'honorable D. Kinnaird d'envoyer des crédits pour le montant de toutes les ressources de Lord Byron. Il y a ici, pour le moment, les plus grands embarras de toute espèce, mais nous conservons l'espérance, et nous en viendrons à bout.» Hélas, cette espérance ne devait pas se réaliser. Le 9 avril, à la suite d'une longue course à cheval, il rentra chez lui avec une fièvre qui ne l'empêcha pas de donner son attention et de répondre à plusieurs lettres. Le lendemain, l'indisposition offrit des symptômes plus graves; il toussait beaucoup, il dormait péniblement, il éprouvait de vives douleurs dans tous les membres. Mais les deux médecins, Bruno et Millingen, ayant déclaré avec assurance que la maladie n'avait rien d'alarmant, on retarda pendant plusieurs jours la saignée: leur sécurité ne se démentit qu'à la dernière extrémité. «Ce n'est rien, disaient-ils; il serait ridicule de consulter d'autres médecins pour une si légère indisposition.» Lord Byron, de son côté, s'obstinait à dire que son mal était d'une espèce sérieuse. Enfin, on le saigna le 16, et on recommença le 17 avril; son sang était enflammé, et chaque fois le malade éprouva un évanouissement. La crainte de devenir fou s'empara de sa grande ame: «Je ne peux pas dormir, disait-il au fidèle Fletcher; je sais qu'un homme ne peut être sans dormir qu'un certain tems, après quoi il devient nécessairement fou, sans qu'on puisse y trouver le moindre remède; or, j'aimerais mieux dix fois me brûler la cervelle que d'être fou.»

      Cependant, il s'affaiblissait d'heure en heure, et le désordre de ses expressions annonçait même des accès de délire. À la fin d'un de ces accès: «Écoutez, Fletcher, dit-il; je commence à croire que je suis sérieusement malade, et si je mourais subitement, je veux que vous ayez quelques instructions que vous aurez, j'espère, soin de faire exécuter.» Ses paroles étaient rapides. Le valet ayant dit qu'il espérait le voir assez vivre pour exécuter lui-même ses volontés: «Non, répondit-il avec la même volubilité; c'en est fait, il faut tout vous dire sans perdre un moment. – Irai-je, milord, chercher une plume, de l'encre et du papier9? – Oh! mon Dieu, non; vous perdriez trop de tems, et je n'en ai pas à perdre. – Faites attention. – O mon enfant! ma chère fille, ma chère Ada; mon Dieu! si j'avais pu la voir! donnez-lui ma bénédiction, donnez-la à ma sœur Augusta10. Vous irez chez lady Byron; – dites-lui tout. – Vous êtes bien dans son esprit…»

      Ici sa voix s'affaiblit; il parlait entre ses dents, il agitait ses lèvres sans rien exprimer; son visage avait quelque chose de solennel, et parfois il élevait la voix pour s'écrier: «Fletcher, si vous n'exécutez pas les ordres que je vous donne, je vous tourmenterai plus tard, si je puis. – Milord, dit Fletcher, je n'ai pas entendu un mot de ce que vous m'avez dit. – Oh! Dieu! reprit Byron, tout est fini. Se peut-il que vous ne m'ayez pas entendu!» Il essaya encore de parler, mais il ne prononçait distinctement que les noms de Grèce et de ma fille, le reste était inintelligible. Sur ces entrefaites arriva le capitaine Parry qui l'engagea à se tranquilliser. Byron fit de nouveaux efforts pour exprimer ses pensées, mais vainement, et il répandit un torrent de larmes. À peine M. Parry était-il sorti, qu'il parut vouloir sommeiller. «Il faut que je dorme maintenant,» dit-il. Il laissa tomber sa tête, et ce fut le commencement de l'agonie; elle se prolongea pendant vingt-quatre heures: le 19, à six heures du soir, Byron ouvrit les yeux et les referma aussitôt: ce fut l'instant de son dernier soupir.

      La terrible nouvelle parcourut aussitôt toutes les rues de Missolonghi. C'était le jour de Pâques: les exercices religieux sont interrompus; les hymnes d'allégresse se changent en cris, en sanglots, en hurlemens de désespoir. Tous les citoyens, se pressant à l'envi autour de ce qui restait de Lord Byron, accusent le ciel, et maudissent le coup qui, au lieu de frapper chacun d'eux, vient d'atteindre


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<p>8</p>

Consultez les lettres de Stanhope à Bowring. Dans une d'elles, rapportée par madame Belloc, il dit: «Odysseus, à ma prière, a changé en musée un ancien temple de Minerve: le docteur Psyas est nommé directeur. On assemblera le peuple, et on lui adressera un discours à ce sujet. La société des Philomuses surveillera cet établissement. Cette société n'a aucun caractère politique; son seul but est de conserver les antiquités, etc.»

<p>9</p>

Cette question de Fletcher était bien intempestive: c'est peut-être ce qui dérangea le plus la suite d'idées de son bon maître.

<p>10</p>

Augusta miss Leight.