Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron
Читать онлайн книгу.nom. Regarde, le voici, placé à la suite du nom de celui qui m'a précédé dans ces lieux, si les dates de cachot ne sont pas trompeuses.
Et celui-là, qu'est-il devenu?
Ces murs gardent le silence sur la fin de leurs victimes, et par là ils semblent nous en avertir. Jamais murs plus insensibles ne pesèrent sur les mortels, si ce n'est sur les morts, ou sur ceux qui ne vont pas tarder à l'être. Tu demandes ce qu'il est devenu? que serai-je devenu moi-même? on le demandera bientôt, on n'obtiendra que la même réponse: – un doute, un soupçon douloureux, – à moins que tu ne racontes mes infortunes.
Moi, parler de toi?
Pourquoi non? alors mon nom serait dans toutes les bouches. La tyrannie du silence n'est pas éternelle; on peut étouffer la vérité, mais le murmure des hommes justes soulève bientôt toutes les entrailles, même celles d'un vivant tombeau. Je n'ai pas d'incertitude sur ma mémoire, mais sur ma mort, et je ne redoute ni l'une ni l'autre.
Ta vie est en sûreté.
Et ma liberté?
C'est l'ame qui seule devrait pouvoir la donner.
Voilà un beau mot, mais ce n'est qu'un mot; une mélodie bien pénétrante, mais aussi bien passagère. L'ame sans doute est beaucoup, mais ce n'est pas tout. C'est l'ame qui m'a donné la force de courir le risque de la mort, et de subir des tortures bien plus cruelles que la mort (si la mort n'est qu'un profond sommeil), sans un gémissement, ou du moins avec un cri qui faisait pâlir mes juges encore plus que moi. Mais enfin ce n'est pas tout; il est des choses dont l'ame ne peut tempérer l'horreur, – et tel est cet étroit cachot, où je dois respirer pendant longues années.
Hélas! un étroit cachot, voilà tout ce qui t'appartient de ce vaste empire dont ton père est le souverain.
Cette pensée ajoute encore à mes souffrances. Mon sort est commun à plusieurs: les captifs ne sont pas rares; mais il n'en est pas qui languissent comme moi aussi près du palais de leur père. Quelquefois cependant, mon cœur, à cette idée, se relève; l'espérance glisse jusqu'à moi de ces épaisses lueurs peuplées de poudreux atômes, le seul jour que je connaisse; car, excepté la torche du geolier et une sorte de lampyris, qui la dernière nuit est venue se prendre dans les filets de cette énorme araignée, je n'ai rien vu qui eût quelque apparence de rayon. Hélas! je sais quelle force l'ame peut nous communiquer; je le sais, j'en ai fait preuve devant les hommes; mais elle ne résiste pas à la solitude, et je sens que mon esprit est fait pour la société.
Je ne te quitterai plus.
Ah! s'il en était ainsi! mais jamais ils ne l'ont accordé, – ils ne l'accorderont pas, et je resterai seul. Pas d'êtres vivans, – pas de livres, – cette image trompeuse des mortels trompeurs. J'aurais voulu que ces vestiges de l'espèce humaine, qu'ils appellent annales, histoires, ce que vous voudrez, et ce qu'ils lèguent aux générations suivantes comme autant de portraits fidèles; j'aurais voulu, dis-je, qu'elles s'ouvrissent pour moi: on me l'a refusé. Aussi j'ai dirigé mon étude vers ces murailles, peinture de l'histoire vénitienne plus fidèle, avec toutes ses lacunes, ses obscurités sinistres, que n'est la salle bâtie à quelques pas de là, où sont renfermés les cent portraits des Doges et le récit de leurs actions.
Je viens t'apprendre ce qu'ils viennent de décider dans leur dernier conseil.
Je le sais: – regarde.
Non, non, – ce n'est plus cela: leur cruauté même s'est ralentie.
En quoi donc?
Tu retournes à Candie.
Adieu donc ma dernière espérance! Je pouvais endurer mon cachot: c'était encore Venise; je pouvais supporter la torture: il y avait dans mon air natal quelque chose qui ranimait mes forces, comme, sur l'océan, le vaisseau battu des orages se soutient pourtant encore à la hauteur des vagues, et continue fièrement sa course. Mais là-bas, dans cette île maudite d'esclaves, de prisonniers et de mécréans, mon ame, telle qu'un bâtiment naufragé, se brise dans mon sein; et si l'on m'y renvoie, je périrai dans une cruelle agonie.
Mais ici?
Je périrai de même; – mais en moins de tems, et moins péniblement. Eh quoi! prétendent-ils donc me refuser le tombeau de mes pères, aussi bien que leur demeure et leur héritage?
Écoute, Foscari: j'ai sollicité la permission de t'accompagner dans ton exil, mais je ne partage pas ton désespoir. Cet amour que tu conserves pour une terre ingrate et tyrannique est une passion, et non du patriotisme. Pour moi, si je pouvais revoir le calme dans tes traits, s'il nous était permis de profiter de la douce liberté de l'air et de la terre, peu m'importeraient les climats et les pays. Cette multitude de palais et de prisons n'est pas un Éden; ses premiers habitans étaient de misérables proscrits.
Oui, je sens qu'ils devaient être bien misérables!
Et cependant, vois: refoulés par les Tartares dans ces îles étroites, et soutenus par cette énergie antique (tout ce qui leur restait de l'héritage de Rome), ils parvinrent à créer, par degrés, une Rome flottante. Ton courage sera-t-il donc au-dessous d'une infortune qui tant de fois devint l'occasion d'une grande prospérité?
Ah! si j'étais sorti de ma patrie, cherchant, comme les anciens patriarches, une autre contrée, suivi comme eux de leurs familles et de leurs troupeaux; si j'avais été exilé, comme les juifs, de Sion, ou, comme nos pères chassés par Attila, des belles campagnes de l'Italie, j'aurais sans doute encore donné quelques pleurs à mon ancienne contrée, quelques pensées amères: mais bientôt je me serais relevé; et de concert avec les miens, qui n'auraient pas cessé de m'entourer, j'aurais créé une nouvelle patrie, une autre chose publique: peut-être alors aurais-je supporté mon sort-bien que je n'ose l'assurer!
Pourquoi pas? c'est le sort de tant de milliers d'hommes! tant d'autres le supporteront encore!
Oui; – mais l'on nous parle uniquement de ceux qui, dans une nouvelle terre, ont survécu à leurs maux; de leur nombre, de leur succès: qui aurait pu compter les cœurs brisés en silence par cet exil? Qui pourrait compter les victimes de cette maladie 1 qui, de l'impitoyable mer, semble tout d'un coup faire jaillir les belles campagnes de la patrie; qui les représente si fidèlement aux yeux malades du malheureux proscrit, qu'on peut difficilement l'empêcher de se précipiter devant l'image trompeuse? Rappelez-vous cette mélodie traînante 2 qui, tout d'un coup, ranime les regrets passionnés du montagnard éloigné de ses hauteurs couronnées de neige et de nuages; il s'abandonne à ses regrets, mais il porte le poison dans ses veines, et bientôt il expire de désespoir. Vous appelez cela de la faiblesse! c'est de la force; c'est la source de tous les sentimens généreux: qui n'aime pas sa patrie est incapable de rien aimer.
Obéis-lui donc, car c'est elle qui te proscrit.
Oui, c'est elle: et son arrêt pèse sur mon cœur comme la malédiction d'une mère; – l'empreinte en brûle mon front. Ces exilés dont vous me parlez, ils s'éloignaient en foule les mains pressées l'une dans l'autre, pendant la route; et leurs tentes réunies et confondues: – moi, je suis seul.
Non, tu ne le seras plus: – ne vais-je pas avec toi?
Chère
1
La calenture.
2
Allusion à l'air suisse (le