Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron
Читать онлайн книгу.sa rage, en reposant sur nos malheurs un dernier regard? laissez-le les partager.
Cela serait difficile.
Nullement. Il les partage déjà: – c'est en vain qu'il cherche à dérober ses angoisses sous un front de marbre et sous un dédaigneux sourire; il les partage. Quelques mots précis de vérité confondent les suppôts de l'enfer aussi bien que leur maître; j'ai mis un instant son ame à l'épreuve, comme le fera avant peu le feu éternel qui le réclame. Vois comme il recule à ma voix! et cependant il porte en ses mains la mort, les fers et l'exil, qu'il déverse à volonté sur ses semblables. Mais ces armes ne sont pas défensives, car j'ai percé du premier coup son cœur glacé. Je brave ses furieux regards. Nous ne pouvons que mourir; il est plus à plaindre que nous, car il ne peut que vivre, et chaque jour avance l'heure inévitable de son châtiment.
Vous avez perdu la raison.
Cela peut être; mais quelle est la cause de ce délire?
Laissez-la poursuivre; elle ne m'atteint pas.
Vous mentez! Vous veniez ici pour savourer un lâche triomphe, à la vue de notre déplorable situation. Vous veniez pour écouter froidement nos prières, – pour compter nos pleurs et nos sanglots, – pour contempler le naufrage auquel vous aviez réduit mon époux, le fils de votre souverain; en un mot, vous veniez fouler aux pieds la victime, – idée devant laquelle le bourreau recule, lui qui fait horreur à tous les hommes! Qu'en est-il résulté? Nous sommes malheureux, signor; malheureux autant que votre scélératesse et votre soif de vengeance pouvaient le désirer: et cependant, comment vous trouvez-vous?
Comme un roc.
Oui, mais frappé de la foudre: ils sont insensibles, mais ils demeurent sillonnés. Allons, Foscari! éloignons-nous, et laissons cet être vil, le seul digne d'habiter ces lieux qu'il a tant de fois peuplés de victimes, mais qui ne seront purifiés qu'à l'instant où ils se fermeront sur lui.
Mon père!
Jacopo! mon fils! – mon fils!
Encore une fois, mon père! Qu'il y a long-tems que je ne t'avais entendu prononcer mon nom-notre nom!
Mon enfant! que ne peux-tu savoir-
Il m'est échappé rarement des murmures.
C'est ton silence que j'ai senti le plus vivement.
Doge! regardez-là! (Elle indique Lorédano.)
Je vois cet homme-eh bien?
De la prudence!
Cette vertu étant celle dont la noble dame aurait le plus besoin, il est naturel qu'elle la recommande aux autres.
Misérable! ce n'est pas une vertu: c'est la politique des hommes de bien forcés de se trouver en face du vice; c'est auprès de tes semblables que je la recommande, comme je le ferais à celui dont le pied serait prêt de toucher une vipère.
Cela est superflu à ma fille; depuis long-tems je connais Lorédano.
Vous pouvez le connaître mieux encore.
Oui, mais non pas plus pervers sans doute.
Mon père, ne perdons pas ces dernières heures dans de stériles reproches. Est-ce bien en effet maintenant notre dernière entrevue?
Tu vois ces cheveux blancs.
Et de plus, je sens que les miens ne blanchiront jamais ainsi. Mon père, embrassez-moi! je vous ai toujours aimé, – jamais plus qu'aujourd'hui. Ayez soin de mes enfans, – ceux de votre dernier enfant; qu'ils soient pour vous tout ce que je fus long-tems moi-même, et jamais ce que je suis aujourd'hui. Ne puis-je donc pas les voir aussi?
Non, – pas ici.
Partout ils peuvent embrasser leurs parens.
Je ne voudrais pas qu'ils vissent leur père dans un lieu qui pourrait mêler à leur tendresse des sentimens de crainte, et troubler le cours naturel de leur sang jeune et généreux. Ils sont heureux; ils dorment tranquilles; ils ignorent que leur père n'est qu'un malheureux proscrit. Je sais bien que leur destinée sera la même un jour; mais qu'ils ne la reçoivent qu'à titre de succession, et non pas comme un droit de leur enfance même. Leurs sens ouverts aux inspirations de l'amour le sont également à celles de la terreur; et cette obscure humidité, et ces eaux verdâtres et fangeuses qui flottent au-dessus de cet horrible asile, – ce cachot lui-même, creusé au-dessous de la source des eaux, et enfermant dans chaque crevasse un germe pestilentiel; tout cela pourrait être à craindre pour eux: ce n'est pas leur atmosphère, bien que vous, – vous aussi, – et avant tous les autres, et comme en étant le plus digne, -vous, noble Lorédano, vous puissiez respirer ici sans le moindre danger.
Je n'avais pas fait ces réflexions; je les approuve. Ainsi, je m'éloignerai sans les avoir vus.
Non; il n'en sera rien: vous les verrez dans mon appartement.
Et faudra-t-il tous les quitter?
Il le faut.
Sans une seule exception?
Ils sont le bien de l'état.
Je supposais qu'ils étaient le mien.
Ils le sont, en effet, dans tout ce qui se rapporte à la puissance maternelle.
C'est-à-dire, dans tous les soins pénibles. Sont-ils malades? on me les confiera pour les soigner; meurent-ils? c'est à moi qu'il appartiendra de les pleurer, de les ensevelir; mais s'ils vivent, vous en ferez des soldats, des sénateurs, des esclaves, des proscrits, – ce que vous voudrez; ou s'ils sont de l'autre sexe et doués d'un patrimoine, des épouses et des courtisanes! Admirable sollicitude de l'état pour ses fils et les mères de ses fils!
L'heure approche, et les vents sont favorables.
Qu'en savez-vous ici, où jamais les vents n'ont soufflé dans leur liberté?
Ils l'étaient quand j'entrai ici. La galère flottait à une portée d'arc de la riva di Schiavoni.
Mon père, précédez-moi, je vous prie, et préparez mes enfans à voir leur père.
Allons, mon fils, du courage!
Je ferai tous mes efforts.
Adieu, du moins, à cet infâme donjon, et à celui aux bons offices duquel nous sommes en partie redevables de notre captivité passée.
Et de la délivrance présente.
Il dit vrai.
Sans doute; mais je ne lui dois qu'un échange de mes chaînes pour des chaînes plus pesantes. Il le savait bien, ou il ne l'eût pas sollicité; mais je ne lui reproche rien.
Le tems presse, signor.
Hélas! pouvais-je penser que je quitterais jamais avec douleur un pareil séjour!