Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8 - George Gordon Byron


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est passé.

LE DOGE

      Il est libre.

MARINA

      Non, – non, il n'est pas mort; il doit encore y avoir de la vie dans ce cœur: – il n'aurait pu me laisser ainsi.

LE DOGE

      Ma fille!

MARINA

      Silence, vieillard! je ne suis plus ta fille: – tu n'as plus de fils. Ô Foscari!

OFFICIER

      Il nous faut emporter le corps.

MARINA

      Ne le touchez pas, odieux bourreau! avec sa vie cessent vos viles fonctions; et vos lois homicides elles-mêmes ne les continuent pas au-delà du meurtre. Laissez sa dépouille mortelle à ceux qui seuls peuvent honorer sa mémoire.

OFFICIER

      Je dois prévenir la seigneurie, et attendre sa volonté.

LE DOGE

      Informez la seigneurie de ma part, de la part du Doge, qu'ils n'ont plus le moindre droit sur ces cendres. Pendant sa vie, il leur appartenait, comme étant leur sujet: – maintenant il m'appartient. – Mon déplorable fils!

(L'officier sort.)MARINA

      Et je vis encore!

LE DOGE

      Marina! vos enfans vivent.

MARINA

      Mes enfans! oui-ils vivent, et moi aussi je dois vivre pour leur apprendre à servir l'état, à mourir comme mourut leur père. Combien on doit désirer et bénir dans Venise la stérilité! Pourquoi ma mère m'a-t-elle mis au monde!

LE DOGE

      Mes malheureux enfans!

MARINA

      Quoi? vous aussi, vous êtes enfin sensible! – vous! Qu'est donc devenu le stoïcisme de l'homme d'état?

LE DOGE, se jetant sur le corps

      Là!

MARINA

      Vous pleurez! je pensais que vos yeux n'avaient pas de larmes: – vous les réserviez pour l'instant où elles sont superflues. Mais pleurez! lui ne pleurera plus jamais-jamais, ô ciel! jamais!

(Entrent Lorédano et Barbarigo.)LORÉDANO

      Qu'y a-t-il ici?

MARINA

      Ah! le démon venant insulter à la mort! Fuis! Satan incarné! cette terre est sainte, les cendres d'un martyr y reposent et en font un autel. Retourne au séjour des tourmens!

BARBARIGO

      Madame, nous ignorions ce triste événement; nous allions au conseil, et nous ne faisons que passer.

MARINA

      Passez donc!

LORÉDANO

      Nous cherchons le Doge.

MARINA, indiquant le Doge, toujours étendu sur le corps de son fils

      Il est occupé, vous le voyez, des affaires que vous lui avez préparées. Êtes-vous contens?

BARBARIGO

      À Dieu ne plaise que nous troublions la douleur d'un père!

MARINA

      Non; il vous a suffi de la causer: votre rôle est fini.

LE DOGE, se levant

      Signor, je suis prêt.

BARBARIGO

      Non, – pas maintenant.

LORÉDANO

      Cependant, il importe beaucoup.

LE DOGE

      S'il en est ainsi, je le répète encore, – je suis prêt.

BARBARIGO

      Il n'en sera pas ainsi maintenant; dût Venise, comme un frêle vaisseau, s'engloutir dans l'abîme! Je respecte votre douleur.

LE DOGE

      Je vous remercie. Mais si les nouvelles que vous apportez sont fâcheuses, parlez, rien ne peut me frapper plus vivement que l'objet que vous avez devant les yeux. Si elles sont bonnes, parlez; vous n'avez pas à craindre qu'elles me consolent.

BARBARIGO

      Je voudrais qu'elles le pussent.

LE DOGE

      Je ne m'adresse pas à vous, mais à Lorédano. Il me comprend.

MARINA

      Je le prévoyais bien.

LE DOGE

      Que voulez-vous dire?

MARINA

      Voyez! le sang commence à rougir de nouveau les lèvres glacées de Foscari; – le corps saigne à la vue de l'assassin. (À Lorédano.) Vil meurtrier juridique, regarde! la mort elle-même rend témoignage de ton forfait.

LE DOGE

      Ma fille! c'est une illusion de la douleur. (Aux suivans.) Emportez le corps. Signor, si vous le désirez, je vous écouterai dans une heure.

(Sortent le Doge, Marina et suivans avec le corps. – Lorédano et Barbarigo demeurent sur la scène.)BARBARIGO

      On ne peut dans ce moment le troubler.

LORÉDANO

      Lui-même ne dit-il pas que désormais rien ne pourrait le troubler?

BARBARIGO

      Le chagrin aime la solitude, et la rompre est une barbarie.

LORÉDANO

      La solitude est l'aliment de tout chagrin; et rien n'est plus capable de dissiper les sombres visions de l'autre monde que le retour des vives impressions de celui-ci. Les affaires ne comportent pas les pleurs.

BARBARIGO

      Et c'est pour cela que vous voulez écarter ce vieillard de toutes les affaires?

LORÉDANO

      La chose est décrétée. La giunta et les Dix l'ont convertie en loi. Qui oserait braver la loi?

BARBARIGO

      L'humanité!

LORÉDANO

      Quoi! parce que son fils est mort?

BARBARIGO

      Et qu'il n'est pas encore enseveli.

LORÉDANO

      Si, quand nous vous avons proposé la mesure, nous avions connu cet incident, nous en aurions suspendu l'adoption; mais une fois passé, rien ne peut en arrêter l'effet.

BARBARIGO

      Non, je ne consentirai jamais.

LORÉDANO

      Vous avez consenti à l'essentiel, – remettez-vous à moi du reste.

BARBARIGO

      Son abdication presse-t-elle donc tant?

LORÉDANO

      L'impression d'un sentiment particulier n'a pas droit d'arrêter ce qui importe à la république; et un malheur simple et naturel ne peut retarder d'un jour l'exécution d'une loi.

BARBARIGO

      Vous avez un fils.

LORÉDANO

      Oui, – et même j'avais un père.

BARBARIGO

      Cependant, toujours aussi inexorable?

LORÉDANO

      Toujours.

BARBARIGO

      Mais du moins, avant de presser l'exécution de l'édit qui le dépose, laissez-le enterrer son fils.

LORÉDANO

      Qu'il rappelle donc à la vie mon oncle et mon père, – et j'y consens. Les hommes peuvent, dans leur vieillesse même, devenir, ou paraître devenir pères d'une centaine d'enfans; mais ils ne peuvent rallumer l'existence d'un seul de leurs ancêtres. Le sacrifice n'est pas égal: il a vu ses enfans expirer d'une mort naturelle; mes pères sont tombés victimes de maladies violentes et mystérieuses. Je n'ai pas eu recours au poison; je n'ai pas soudoyé quelque subtil opérateur dans l'art destructeur de guérir, pour abréger leur route vers la guérison éternelle. Ses fils, et il en avait quatre, sont morts sans que j'invoquasse le secours de drogues homicides.

BARBARIGO

      Et êtes-vous sur qu'il soit plus coupable que vous?

LORÉDANO

      Très-sûr.

BARBARIGO

      Il semble pourtant la loyauté même.

LORÉDANO

      Ainsi le jugeait Carmagnuola, il n'y a pas long-tems encore.

BARBARIGO

      Quoi!


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