Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.Bon Dieu, s’écria Elinor, que voulez-vous dire ? Êtes-vous engagée avec M. Robert Ferrars ? Elle ne pouvait imaginer autre chose, mais elle n’était pas du tout flattée de l’idée d’avoir Lucy Stéeles pour belle-sœur.
— Non, répliqua Lucy, non pas à Robert Ferrars, que je n’ai jamais vu, mais… à son frère aîné ; et en disant cela son regard perçant était attaché sur Elinor, comme pour lire au fond de son âme.
Qu’est-ce qu’Elinor sentit dans ce moment ! Une surprise qui aurait été aussi pénible que violente, si une incrédulité presque complète ne l’avait pas suivie. Elle regarda Lucy dans un silencieux étonnement, incapable de deviner le motif d’une telle confidence, et quoiqu’elle eût pâli et qu’elle se sentît très émue, elle n’eût aucune crainte de s’évanouir ou d’avoir une attaque de nerfs, et persista dans sa défiance de la véracité de Lucy. Je vois et je comprends votre surprise, lui dit cette dernière, car vous ne pouviez en avoir aucune idée. Jamais il ne m’est échappé un seul mot ni avec vous ni avec personne, qui ait pu trahir notre secret ; il a été si fidèlement gardé par moi que pas un seul de mes parens ni de mes amis, excepté Anna, ne peut s’en douter, et jamais je ne vous l’aurais confié, si je n’avais pas eu la certitude de votre discrétion, et si je n’avais pas été entraînée par la crainte que mes questions sur madame Ferrars ne vous parussent aussi trop ridicules. Quant à M. Ferrars, je ne crains nullement qu’il soit fâché de ma confiance envers une personne qu’il estime autant ; je connais la haute opinion qu’il a de toute votre famille, et je sais qu’il vous regarde vous et Maria comme des sœurs… Elle s’arrêta… Elinor aussi garda quelque temps le silence ; son étonnement était trop grand pour pouvoir lui répondre ; mais enfin elle s’efforça de parler et de parler tranquillement, et dit avec assez de calme : Puis-je vous demander si votre engagement existe depuis longtemps ?
— Oh oui ! bien long-temps ; il y a quatre ans.
— Quatre ans !
— Oui, j’étais bien jeune alors, et c’est mon excuse.
— Je ne me suis pas doutée, dit Elinor, que vous le connussiez jusqu’à l’autre jour que votre sœur en parla.
— Oui, la pauvre Anna ; je tremble toujours dès quelle ouvre la bouche. Notre connaissance est cependant de vieille date, elle a commencé lorsqu’il était près de Plymouth sous les soins de mon oncle.
— De votre oncle !
— Oui, M. Pratt, son tuteur, chez qui sa mère l’avait placé. Est-ce qu’il ne vous a jamais parlé de M. Pratt ?
— Oui, je me le rappelle, répondit Elinor, avec une force d’esprit qui s’augmentait ainsi que son émotion.
— Il a vécu près de cinq ans chez mon oncle, à Longstaple, près de Plymouth, depuis quinze ans jusqu’à vingt ; c’est là où notre connaissance a commencé. Ma sœur et moi nous étions souvent chez notre oncle ; notre engagement s’est formé une année après qu’il fût hors de tutelle, et il avait alors vingt-un ans. Il en a vingt-cinq à présent, et nous ne sommes pas plus avancés, parce que quoiqu’il soit majeur et que son engagement soit valable, il dépend entièrement, de sa mère pour la fortune. Sans doute j’eus tort de consentir à ce qu’il s’engageât sans l’aveu et l’approbation de sa mère, mais j’étais trop jeune et je l’aimais trop pour être aussi prudente que je l’aurais dû. Quoique vous ne le connaissiez pas aussi bien que moi, miss Elinor, vous l’avez vu assez souvent pour convenir qu’il a tout ce qu’il faut pour attacher sincèrement une femme qui préfère les qualités de l’âme et de l’esprit aux avantages frivoles.
— Certainement, dit Elinor, sans réflexion et entraînée par la vérité de cette assertion ; mais cette vérité même renouvela ses doutes sur la sincérité de Lucy, et sa confiance en l’honneur et l’amour d’Edward. Engagée avec M. Ferrars, reprit-elle, je vous avoue que je suis tellement surprise de ce que vous me dites que… je vous demande mille pardons, mais il y a sûrement quelque erreur de nom ; nous ne parlons sûrement pas du même M. Ferrars.
— Nous ne pouvons parler d’un autre, dit Lucy en souriant. M. Edward Ferrars, le fils aîné de madame Ferrars de Park-street, le frère de votre belle-sœur madame Fanny Dashwood : voilà celui que j’entends, et vous m’accorderez je pense, que je ne puis pas me tromper sur le nom de celui de qui mon bonheur dépend.
— Il est étrange, dit Elinor, que je ne l’aie jamais entendu parler ni de vous ni de votre sœur.
— Mais non ! pas du tout ! si vous considérez notre position, rien n’est moins étrange. Notre premier soin à tous deux était de cacher entièrement notre secret ; vous ne connaissiez ni moi ni ma famille, il n’avait donc aucune occasion de me nommer devant vous. Il avait surtout un extrême effroi que sa sœur n’eût quelque soupçon ; il valait mieux laisser ignorer et mon nom et mon existence, jusqu’à ce qu’elle fût tout-à-fait liée à la sienne.
La sécurité d’Elinor commença à diminuer, mais non pas son empire sur elle-même.
— Vous êtes donc engagée avec lui depuis quatre ans, dit Elinor d’une voix assez ferme.
— Oui ; et le ciel sait combien nous attendrons encore ! Ce pauvre Edward ! Il est près de perdre patience. Sortant alors de sa poche une petite boite à portrait, elle ajouta : Pour prévenir tout soupçon d’erreur, et vous prouver que c’est bien votre ami Edward que j’aime et dont je suis aimée, ayez la bonté de regarder cette miniature ; sans doute elle lui fait tort, mais il est cependant très reconnaissable ; il me l’a donnée il y a environ trois ans. Elle la mit en parlant entre les mains d’Elinor, qui ne put alors conserver de doute sur la véracité de Lucy, c’était bien Edward ; c’étaient ses traits si bien gravés dans son cœur et dans son souvenir. Elle le rendit en étouffant un profond soupir, et en convenant de la ressemblance.
— Je n’ai jamais pu, continua Lucy, lui donner le mien en retour, ce qui me chagrine beaucoup, car il le désire passionnément ; mais je suis décidée à présent à saisir la première occasion de me faire peindre pour lui. Vous qui peignez si bien, chère Elinor, si sous le prétexte de le faire pour vous même, vous étiez assez bonne.
— Je ne me suis jamais appliquée à la ressemblance, dit Elinor ; mais vous trouverez sûrement d’autres moyens, et vous en avez tout-à-fait le droit.
Elles marchèrent quelque temps en silence. Lucy parla la première.
— Je ne doute pas, lui dit-elle, de votre fidélité à garder un secret dont vous devez sentir toute l’importance. Nous serions perdus si sa mère venait à l’apprendre ; elle ne consentira jamais volontairement à cette union ; je n’ai ni rang ni fortune, et je la crois très haute et fort avare.
— Je n’ai certainement pas cherché votre confiance, répondit Elinor, et vous me rendez justice en croyant que je ne la trahirai pas. Votre secret est en sûreté avec moi ; mais pardon si je vous exprime ma surprise d’une confidence inutile. Vous auriez dû sentir que de me le dire n’ajoutait rien à cette sûreté, et vous ne connaissez pas depuis assez long-temps la belle-sœur de madame John Dashwood pour être parfaitement sûre qu’elle ne soit pas indiscrète. À présent je puis vous rassurer, mais je ne le pouvais pas avant de le savoir. En disant cela elle regardait fixement Lucy, espérant de découvrir quelque chose dans son regard, peut-être la fausseté d’une grande partie de ce qu’elle avait dit ; mais sa physionomie ne changea pas du tout ; elle serra doucement la main d’Elinor. — Je crains, lui dit-elle, que vous ne trouviez que j’aie pris avec vous une trop grande liberté, en vous confiant ma situation ; je ne vous connais pas depuis long-temps, il est vrai, pas du moins personnellement ; car je connaissais parfaitement et vous et toute votre famille depuis bien des années par tout ce que m’en avait dit Edward. Aussi dès le premier instant où je vous ai vue, il m’a semblé que je voyais une ancienne connaissance ; et puis, pensez, comme je suis malheureuse. Je n’ai pas une amie à qui je puisse demander des conseils ; Anna est la seule personne qui sache ma position, et vous avez pu vous apercevoir