Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition. Anonyme

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Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition - Anonyme


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désespéré et à bout de nerfs, avait fait place à un homme débordant d’aise et d’assurance. Je me suis entretenu avec lui pendant un moment, mais je ne pouvais toujours pas me convaincre que j’avais déjà connu cet homme. Lorsqu’il m’a quitté, je ne l’avais toujours pas reconnu. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis sans qu’il ne retouche à une goutte d’alcool.

      Lorsque j’ai besoin de me remonter le moral, je me rappelle le cas d’un autre homme qu’un éminent médecin de New York m’avait adressé. Le patient avait établi lui-même son diagnostic, puis, ayant conclu que sa condition était sans espoir, s’était caché dans une grange abandonnée, déterminé à mourir. Il a été trouvé par une équipe de recherches et conduit chez moi dans une condition désespérée. À la suite de sa réhabilitation physique, il m’a dit franchement qu’il considérait son traitement comme peine perdue, à moins que je ne puisse lui assurer – ce que jamais personne n’avait fait – que dans l’avenir, il démontrerait « assez de volonté » pour résister à l’envie de boire.

      Sa condition d’alcoolique était tellement compliquée et son état dépressif tellement avancé que nous avons cru que son seul espoir résidait dans ce que nous appelions alors la « psychologie morale » ; même cela, croyions-nous, n’aurait peut-être aucun effet.

      Cependant, il en est venu effectivement à adopter les idées contenues dans ce livre. Il n’a pas pris un verre depuis très longtemps. Je le vois de temps à autre et son comportement est comparable à celui que l’on souhaite trouver chez tout homme.

      Je recommande vivement à tous les alcooliques de lire ce livre jusqu’à la dernière page, et s’il s’en trouve parmi eux qui le font avec l’intention de se moquer, il pourrait arriver que ceux-là mêmes restent pour prier.

      William D. Silkworth, m.d.

      Chapitre 1

      L’HISTOIRE DE BILL

      LA fièvre de la guerre était grande dans la petite ville de Nouvelle-Angleterre où, jeunes officiers frais émoulus de Plattsburg, nous avions été cantonnés. Comme nous étions flattés lorsque les notables nous ouvraient la porte de leur maison, nous donnant le sentiment d’être des héros ! Tout chantait l’amour, le triomphe, la guerre ; moments sublimes ponctués d’intervalles des plus joyeux. Enfin je participais à la vie et, au milieu de l’allégresse, j’ai découvert l’alcool pour la première fois. J’avais oublié les sévères mises en garde et les préjugés de ma famille au sujet de l’alcool. Le moment venu, nous nous sommes embarqués pour « là-bas... outre-mer ». Comme je m’ennuyais beaucoup, je me suis de nouveau tourné vers l’alcool.

      Nous avons débarqué en Angleterre. J’ai visité la cathédrale de Winchester. Très ému, je suis allé me promener. Mon attention fut attirée par une épitaphe gravée sur une vieille pierre tombale :

      Ci-gît un grenadier du Hampshire

      Qui passa de vie à trépas

      Parce qu’il buvait trop de bière.

      On n’oublie pas un bon soldat

      Qu’il meure par le mousquet

      Ou par le pichet.

      C’était là un sinistre avertissement que je n’ai pas su prendre au sérieux.

      Lorsque je suis enfin rentré au pays, à vingt-deux ans, j’étais déjà un vétéran des guerres à l’étranger. Je croyais en mes qualités de chef : les hommes de mon bataillon ne m’avaient-ils pas donné un témoignage spécial d’appréciation ? Mes aptitudes de meneur me hisseraient – je me plaisais à le croire – à la tête de vastes entreprises que je dirigerais avec la plus grande assurance.

      J’ai suivi un cours du soir en droit et par la suite, j’ai décroché un emploi comme inspecteur dans une société de cautionnement. La course à la réussite était commencée. J’allais prouver au monde entier que j’étais quelqu’un. Mon travail m’a amené à Wall Street et, peu à peu, je me suis intéressé au marché des valeurs. Beaucoup y perdaient de l’argent, mais d’autres y faisaient fortune. Pourquoi pas moi ? J’ai étudié l’économie et les sciences commerciales en plus du droit. En raison de mon penchant pour l’alcool, j’ai failli échouer à mon cours de droit. Je me suis présenté à l’un des derniers examens trop ivre pour écrire ou même penser. Même si je ne buvais pas encore de façon continue, ma femme s’inquiétait. Nous avions de longues conversations au cours desquelles je tentais de la rassurer en lui disant que les hommes de génie avaient eu leurs meilleures idées sous l’effet de l’alcool... que les plus sublimes théories philosophiques étaient nées de la même façon.

      À la fin de mon cours de droit, je savais déjà que je n’étais pas fait pour cette discipline. J’étais envoûté par le tourbillon de Wall Street. Les bonzes de la finance et du monde des affaires étaient mes héros. Mêlant alcool et spéculation, j’ai commencé à forger l’arme qui un jour se retournerait contre moi, comme un boomerang, et me réduirait en pièces. En réduisant nos dépenses, ma femme et moi avions économisé 1 000 dollars. Cet argent a servi à acheter des titres alors bon marché et peu recherchés. J’avais pensé, avec raison, que ces titres prendraient beaucoup de valeur un jour. Je n’avais pas réussi à convaincre mes amis de la bourse de m’envoyer examiner la gestion d’usines et d’entreprises, mais j’ai décidé avec ma femme d’y aller quand même. J’avais développé la théorie voulant que la plupart des gens perdaient de l’argent à la bourse à cause de leur ignorance des marchés. Plus tard, j’allais découvrir beaucoup d’autres raisons.

      Nous avons quitté nos emplois pour partir à l’aventure sur une motocyclette dont nous avions chargé le side-car d’une tente, de couvertures, de vêtements de rechange et de trois énormes annuaires de références boursières. Nos amis nous disaient fous à lier. Ils avaient peut-être raison. Grâce à quelques spéculations heureuses, nous avions un peu d’argent de côté, mais il nous est arrivé une fois de devoir travailler dans une ferme pendant un mois pour éviter de puiser dans notre petit capital. Je n’allais pas connaître avant fort longtemps un autre travail manuel honnête. En une année, nous avons couvert tout l’Est des États-Unis. Les rapports que j’avais envoyés à Wall Street pendant ce temps m’ont valu à notre retour un poste associé à un compte de frais. Cette année-là, l’exercice d’un droit d’option a donné lieu à des rentrées de fonds supplémentaires qui se sont traduites par un profit de plusieurs milliers de dollars.

      Au cours des quelques années qui ont suivi, la chance m’a apporté argent et honneurs. J’avais réussi. Nombreux étaient ceux qui adoptaient mes idées et se fiaient à mon jugement dans cette ronde des millions sur papier. La grande vague de prospérité de la fin des années vingt déferlait sur le monde économique. Prendre un verre était devenu une chose importante pour moi et mettait du piquant dans ma vie. En ville, on parlait haut et fort dans les boîtes de jazz. On dépensait des milliers et on parlait en millions. Les railleurs pouvaient bien se moquer et aller au diable. Je m’étais fait une foule d’amis des beaux jours.

      Ma consommation d’alcool a augmenté sérieusement. Je buvais continuellement le jour et presque tous les soirs. Les remontrances de mes amis dégénéraient en disputes et je me suis retrouvé tel un loup solitaire. Il y a eu de nombreuses scènes malheureuses dans notre somptueux appartement. Je n’avais jamais été réellement infidèle à ma femme car ma loyauté envers elle, parfois aidée par mon état extrême d’ébriété, me gardait de ces ennuis.

      En 1929, j’ai eu la fièvre du golf. Nous nous sommes aussitôt installés à la campagne où ma femme m’applaudissait pendant que je tentais de surpasser les exploits de Walter Hagen. L’alcool a cependant pris le dessus plus vite que je n’ai pu rattraper Walter. J’ai commencé à être saisi de tremblements le matin. Le golf constituait une occasion de boire tous les jours et tous les soirs. Je prenais plaisir à évoluer sur le parcours du club sélect qui m’avait tant impressionné lorsque j’étais jeune. J’affichais le magnifique bronzage


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