Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition. Anonyme

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Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition - Anonyme


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il fait noir avant l’aurore ! En fait, je vivais le début de ma dernière débâcle. J’étais sur le point d’être catapulté dans ce qu’il me plaît d’appeler la quatrième dimension de l’existence. J’allais découvrir le bonheur, la paix et une raison d’être grâce à un mode de vie qui se révèle incroyablement plus merveilleux de jour en jour.

      Un de ces tristes après-midi de la fin de novembre, je prenais un verre, assis dans ma cuisine. J’étais assez content de penser qu’il y avait suffisamment de gin caché dans la maison pour me permettre de passer la nuit et le jour suivant. Ma femme était au travail. Je me demandais si j’oserais cacher une bouteille de gin près de la tête de notre lit. J’en aurais besoin avant le jour.

      Le téléphone a interrompu ma rêverie. D’une voix remplie de bonne humeur, un ancien camarade d’école me demandait s’il pouvait passer me voir. Il était à jeun. Je ne me souvenais pas qu’il soit venu à New York dans cet état depuis des années. J’étais abasourdi. La rumeur avait couru qu’il avait dû être enfermé pour démence alcoolique. Je me demandais comment il avait pu s’en sortir. Bien sûr, il dînerait à la maison et alors je pourrais boire avec lui sans me cacher. Peu soucieux de son bien-être, je pensais seulement à retrouver l’ambiance des jours passés. Un jour, nous avions affrété un avion pour terminer une cuite ! Sa venue me semblait une oasis dans le triste désert de ma vie insignifiante. C’était bien cela, une oasis ! Les buveurs sont ainsi faits.

      Lorsque la porte s’ouvrit, il se tenait là, le teint frais et l’air épanoui. Il avait quelque chose de particulier dans le regard. Il était différent, sans que je puisse expliquer comment. Que s’était-il passé ?

      Je lui ai tendu un verre. Il a refusé. Déçu mais curieux, je me demandais ce qui était arrivé à mon ami. Il n’était pas lui-même.

      « Voyons, qu’est-ce qui se passe ? » ai-je demandé.

      Il m’a regardé droit dans les yeux. Simplement, mais en souriant, il m’a dit : « J’ai trouvé la religion. »

      J’étais horrifié. C’était donc ça : l’été dernier, cinglé de l’alcool, maintenant, j’en avais bien l’impression, cinglé de la religion. Il y avait de l’émerveillement dans ses yeux. Mon ancien copain s’était bel et bien enflammé pour la religion. Mais je voulais bien le laisser discourir ! Et puis mon gin durerait plus longtemps que son sermon.

      Mais il a parlé sans emphase. Posément, il m’a raconté comment deux hommes s’étaient présentés à la cour et avaient persuadé le juge de suspendre sa sentence d’internement. Ils avaient fait mention d’une idée simple fondée sur la religion et d’un programme d’action à mettre en pratique. Cela s’était produit deux mois auparavant, et le résultat était éloquent. Ça marchait !

      Il était venu me faire bénéficier de son expérience, si je le désirais. J’étais renversé, mais la chose m’intéressait ! Bien sûr qu’elle m’intéressait ! Je ne pouvais faire autrement car je n’avais plus d’espoir.

      Il a parlé pendant des heures. Les souvenirs de mon enfance me revenaient à l’esprit. Il me semblait entendre, comme autrefois lors de paisibles dimanches, le prédicateur dont la voix me parvenait au loin, sur la colline où j’étais assis ; j’ai pensé au vœu de tempérance que je n’avais jamais prononcé, au mépris bonhomme de mon grand-père pour certaines gens d’Église et leurs agissements ; je me rappelais comment mon grand-père croyait à la musique des sphères célestes mais refusait aux prédicateurs le droit de lui dire comment l’écouter et son absence de peur alors qu’il parlait de ces choses juste avant de mourir. Tous ces souvenirs refaisaient surface. J’en avais la gorge serrée.

      J’ai repensé à ce jour de la guerre où j’avais visité la cathédrale de Winchester.

      J’avais toujours cru en une Puissance supérieure. J’avais souvent réfléchi à ces choses. Je n’étais pas athée. Peu de gens le sont réellement car l’athéisme implique une foi aveugle dans l’hypothèse étrange que cet univers est sorti du néant et ne mène nulle part. Mes idoles intellectuelles – les chimistes, les astronomes et même les évolutionnistes – supposaient que de grandes lois et de grandes forces régissaient ce monde. En dépit d’indices qui laissaient croire le contraire, il me semblait évident qu’un principe et un ordre puissants sous-tendaient tout cela. Comment pouvait-il exister tant de lois précises et immuables sans l’intervention d’une forme d’intelligence ? Je ne pouvais faire autrement que de croire en un Esprit de l’univers, lequel ne connaissait ni temps ni limites. Mais je n’étais pas allé plus loin.

      C’est là que je m’éloignais des ministres du culte et du monde de la religion. Lorsqu’on me parlait d’un Dieu qui m’était personnel, d’un Dieu qui était amour, force surhumaine et guide, je devenais irrité et mon esprit se fermait d’un coup à pareille théorie.

      Au Christ, je concédais la valeur d’un grand homme dont l’exemple était plus ou moins suivi par ceux qui se réclamaient de Lui. Son enseignement moral ? Excellent. Pour ma part, j’en avais retenu les principes qui me semblaient pratiques et qui n’étaient pas trop exigeants ; le reste, je l’écartais.

      Les guerres, les bûchers et les querelles que les luttes religieuses avaient engendrés me dégoûtaient. Je me demandais vraiment si, tout compte fait, les religions de l’humanité avaient quelque chose de bon. À en juger par ce que j’avais vu en Europe et depuis, la puissance de Dieu dans les affaires humaines était négligeable et la fraternité des hommes une sinistre comédie. Si le diable existait, il semblait être le grand patron de la destinée humaine et, chose certaine, il me tenait.

      Mais mon ami, qui restait assis devant moi, a déclaré de but en blanc que Dieu avait fait pour lui ce qu’il n’avait jamais pu faire pour lui-même. Sa volonté d’humain avait échoué. La médecine l’avait déclaré irrécupérable. La société s’apprêtait à l’enfermer. Comme moi, il avait admis sa défaite totale. Puis, il était littéralement ressuscité des morts, soudainement tiré des bas-fonds pour accéder à une vie meilleure que tout ce qu’il avait connu auparavant !

      Cette force venait-elle de lui ? Non, bien sûr. Il n’y avait pas eu en lui plus de force que je n’en avais en cette minute même, c’est-à-dire absolument aucune.

      J’étais renversé. Je commençais à croire que les gens de religion avaient peut-être raison après tout. Il s’était passé quelque chose dans le cœur d’un homme et cette chose avait réussi l’impossible. Mon opinion sur les miracles a changé sur-le-champ. Finies les opinions d’autrefois ; un miraculé était là assis en face de moi, de l’autre côté de ma table. Il apportait de grandes nouvelles.

      J’ai constaté que mon ami avait fait plus que mettre de l’ordre dans sa vie intérieure. Il évoluait sur une base différente. Il avait pris racine dans un sol nouveau.

      Malgré cette preuve vivante qu’était mon ami, des restes de vieux préjugés persistaient dans mon esprit. Le mot Dieu soulevait encore en moi une certaine antipathie. Mon sentiment de révolte s’est intensifié lorsque fut exprimée l’idée qu’un Dieu existait peut-être pour moi. Ce concept me déplaisait. J’acceptais qu’on parle d’une Intelligence créatrice, d’un Esprit universel ou de l’Âme de la nature, mais je résistais au concept d’un Empereur des cieux, si aimable que puisse être sa domination. Depuis, j’ai parlé à quantité d’hommes qui pensaient comme moi.

      Mon ami m’a fait une suggestion qui m’a semblé nouvelle. « Pourquoi ne choisis-tu pas ta propre conception de Dieu ? »

      Sa proposition m’a ébranlé. J’ai senti fondre la montagne de glace des préjugés intellectuels dans l’ombre desquels j’avais vécu et tremblé pendant des années. Enfin, je retrouvais la lumière du soleil.

      Il suffisait que j’accepte de croire en une Puissance supérieure à moi-même. Je n’avais rien de plus à faire pour commencer. J’ai vu que ce pouvait être le point de départ de la croissance. En adoptant


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