Expérience, force et espoir. Anonyme

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Expérience, force et espoir - Anonyme


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: « Nous cherchons des histoires personnelles directes qui décrivent l’histoire de la consommation, comment le nouveau est arrivé chez les Alcooliques anonymes, comment les AA l’ont touché, et ce que les AA ont fait pour lui depuis ce moment. »

      Malgré leur manque de style, les histoires que nous entendons aujourd’hui ne sont pas très différentes de celles qui ont été écrites en 1939. Leurs auteurs étaient alcooliques et leur expérience sonne juste aux oreilles des alcooliques, peu importe l’époque ou l’endroit.

      L’INCROYANT

      E nnuyant… sans énergie… semi comateux… Je gisais sur mon lit dans un hôpital pour alcooliques bien connu. J’étais condamné à mourir, ou pire.

      Quelle différence ? Tout m’était égal. Pourquoi penser au passé – pourquoi m’inquiéter des résultats de mes escapades d’ivrogne ? Quelles étaient mes chances si ma femme avait découvert que j’avais une maîtresse ? deux beaux garçons… bien sûr… Mais quelle différence pour eux entre un cadavre et un père interné dans un asile ? J’aimerais arrêter les idées de se bousculer dans ma tête… c’est le pire de tout ce processus pour cesser de boire… la boîte à idées roule en quatrième vitesse… comment ça, en quatrième vitesse… d’où vient cette idée… Ah ! Ma première Cadillac avait quatre vitesses… très puissante… asile d’aliénés… cette charrette filait comme une fusée… oui… même alors l’alcool m’empoisonnait déjà. Qu’avait dit le petit docteur ce matin… Mes pensées hésitent… cesse de t’énerver… à quoi je pensais ?… ah oui ! Le médecin.

      Ce matin j’ai rappelé au doc que c’était ma dixième visite. J’avais dépensé quelques milliers de dollars pour ces voyages et pour ceux que j’avais payés à ces filles ivrognes aux moeurs légères qui n’arrivaient pas non plus à cesser de boire. Jackie était superbe jusqu’à ce qu’elle se saoule et alors, elle devenait incontrôlable. Je me demande bien dans quel sale trou elle se trouve maintenant. Où en étais-je ? Ah… j’ai demandé au médecin de me dire la vérité. Il me devait bien ça, après tout l’argent que j’avais dépensé. Il a hé sité. Il a dit que j’étais saoul, c’est tout. Bon dieu ! Croyait-il que je ne le savais pas ?

      Docteur vous ne répondez pas à ma question. Dites-moi honnêtement ce qui ne va pas chez moi. Vous avez dit que je m’en sortirais ? Mais, docteur, vous me l’avez déjà dit. Une fois, vous m’avez dit que si je ne buvais pas pendant un an, je me débarrasserais de cette habitude et que je ne boirais plus jamais. Je n’ai pas bu pendant plus d’un an, mais j’ai recommencé.

      Dites-moi ce que ne va pas chez moi. Je suis un alcoolique ? Ha, ha ! Comme si je ne le savais pas ! Mais, à part ce mot recherché pour un bon vieil ivrogne, dites-moi pourquoi je bois. Vous dites qu’un véritable alcoolique est différent d’un ivrogne ordinaire ? Que voulez-vous dire… dites-le moi franchement… soyez bref et sans ménagement.

      Un alcoolique est une personne allergique à l’alcool ? l’alcool l’empoisonne ? Un seul verre affecte l’équilibre chimique du corps ? l’alcool affecte les nerfs et après quelques heures, il faut un autre verre ? Et c’est ainsi que s’enclenche le cycle vicieux ? Il faut de moins en moins de temps avant le verre suivant pour calmer ces fils invisibles, hurlants et agités qu’on appelle les nerfs ?

      Je connais cette histoire, doc… comment la spirale s’intensifie… un verre… perte de conscience… réveil… un verre… perte de conscience… transport à l’hôpital… endurer l’enfer… les tremblements… les idées folles… le cerveau déchaîné… un moteur qui s’emballe. Mais, docteur, je ne veux pas boire ! On dit de moi que j’ai une volonté de fer. Je ne lâche jamais. Je termine mes projets. Je n’ai pas bu pendant des mois. Et cela ne m’a rien fait… Puis, soudain, sans raison, un verre vide à la main, une nouvelle spirale s’amorce. Comment le docteur explique-t-il cela ?

      Il ne le pouvait pas. C’était un des mystères du véritable alcoolisme. Une grande fondation médicale a consacré une fortune à chercher les raisons pour lesquelles on est alcoolique plutôt qu’un simple gros buveur. Ils avaient tenté de trouver la cause. Tout ce qu’ils avaient réussi à déterminer, à coup sûr, c’est que presque tout l’alcool contenu dans chaque verre ingurgité par un alcoolique allait se mêler au liquide dans lequel le cerveau flotte. On ne peut imaginer pourquoi un homme commencerait à boire en sachant ces choses-là. Seuls les idiots croient que c’est un manque de volonté. Peur… ostracisme… perte de sa famille… perte du travail… le bas fond… rien n’arrête l’alcoolique.

      Doc ! Que voulez-vous dire, rien ? Quoi ? Une maladie incurable ? Doc, vous plaisantez ! Vous essayez de me faire peur pour que j’arrête ! Que dites-vous ? Que vous aimeriez bien que ce soit le cas ? Pourquoi ces larmes dans vos yeux, doc ? Quoi ? Vous avez passé quarante années à soigner l’alcoolisme et vous n’avez pas encore vu un seul véritable alcoolique s’en sortir ? Vous avez raté et gaspillé votre vie ? Allez, doc… que ferions-nous sans vous ? Même si ce n’était que pour dessaouler. Allez doc, dites-moi. Quelle sera ma vie future ? Certains organes vitaux cesseront de fonctionner ou ce sera l’asile d’aliénés avec le cerveau noyé ? Bientôt ? D’ici deux ans ? Mais, doc, il faut que je fasse quelque chose ! Je verrai des médecins… . J’irai au sanatorium. La profession médicale doit savoir quoi faire. Si peu, dites-vous ? Pourquoi ? C’est compliqué. J’admets qu’il n’y a rien de plus compliqué qu’un ivrogne alcoolique.

      Que dites-vous, doc ? Vous connaissez quelques hommes qui étaient des clients assidus et qui ne se sont pas saoulés depuis dix mois ? Vous dites qu’ils prétendent être guéris ? Et ils s’efforcent de le transmettre à d’autres ? Qu’ont-ils trouvé ? Vous ne le savez pas… et vous ne croyez pas qu’ils soient guéris… pourquoi m’en parler, alors ? Un bon gars, dites-vous, avec beaucoup d’argent, et vous êtes certain que ce n’est pas une arnaque… il veut juste rendre service… appelezle pour moi, s’il vous plaît, docteur ?

      Doc avait été tellement réticent à m’en parler. Les idées, cessez de m’envahir. Pourquoi ne puis-je me saouler comme les autres, me lever le matin, secouer la tête à quelques reprises et aller travailler ? Pourquoi faut-il que je tremble au point de ne pouvoir tenir mon rasoir ? Pourquoi le moindre muscle de mon corps me donne-t-il l’impression d’être un ver rampant ? Pourquoi même mes cordes vocales tremblent tellement que je ne peux articuler clairement avant d’avoir pris un grand verre ? Du poison ? Évidemment ! Comment peut-on comprendre un besoin tellement pressant pour un verre qu’il faille le poivrer abondamment pour l’empêcher de sautiller ? Y a-t-il un mortel capable de comprendre la terrible honte secrète qu’on éprouve à devoir prendre un verre, au point de cacher des bouteilles partout dans la maison. Le verre du matin… honte et besoin… faiblesse… remords. Mais qu’en sait la famille ? Le petit doc avait raison, ils n’en sa- vent rien. Ils ne font que répéter « Sois fort » – « Ne prends pas ce verre » – « Endure jusqu’à ce que ça passe. »

      Mais que savent-ils donc de la souffrance ? Pas la maladie, pas un mal de ventre – bien sûr, vos entrailles font si mal que vous ne pouvez même pas les toucher… Oui, chaque fois que vous allez aux toilettes, vous vous tordez de douleur. Que diable un non-alcoolique sait-il de cette douleur-là ? Les pensées… arrêtez ce carrousel fou. Pire encore, cette souffrance morale – la haine de soi – l’impression de faiblesse absurde et irrationnelle – ce sentiment d’être bon à rien. Saute par la fenêtre ! Prends le revolver dans le tiroir ! Le poison peut-être ? Va dans le garage et démarre la voiture. Ouais ! C’est là ta sortie… mais les gens diront : « Il était bourré. » Je ne peux pas partir ainsi. Ce serait pire que de la lâcheté.

      N’y a-t-il personne qui comprenne ? Ma tête… s’il te plaît, arrête… je deviens fou… ou le suis-je déjà ?… Jamais, jamais plus je ne prendrai un autre verre, même pas un verre de bière… même la bière me re- lance. Jamais… jamais… jamais plus… pourtant, j’ai déjà dit ça une douzaine de fois et, inexplicablement, je me suis retrouvé un verre vide à la main et


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