L'année terrible. Victor Hugo

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L'année terrible - Victor Hugo


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      Ah! vous avez un an, c’est un âge cela!

      Vous êtes par moments grave, quoique ravie;

      Vous êtes à l’instant céleste de la vie

      Où l’homme n’a pas d’ombre, où dans ses bras ouverts,

      Quand il tient ses parents, l’enfant tient l’univers;

      Votre jeune âme vit, songe, rit, pleure, espère

      D’Alice votre mère à Charles votre père;

      Tout l’horizon que peut contenir votre esprit

      Va d’elle qui vous berce à lui qui vous sourit;

      Ces deux êtres pour vous à cette heure première

      Sont toute la caresse et toute la lumière;

      Eux deux, eux seuls, ô Jeanne; et c’est juste; et je suis

      Et j’existe, humble aïeul, parce que je vous suis;

      Et vous venez, et moi je m’en vais; et j’adore,

      N’ayant droit qu’à la nuit, votre droit à l’aurore.

      Votre blond frère George et vous, vous suffisez

      A mon âme, et je vois vos jeux, et c’est assez;

      Et je ne veux, après mes épreuves sans nombre,

      Qu’un tombeau sur lequel se découpera l’ombre

      De vos berceaux dorés par le soleil levant.

      Ah! nouvelle venue innocente, et rêvant,

      Vous avez pris pour naître une heure singulière;

      Vous êtes, Jeanne, avec les terreurs familière;

      Vous souriez devant tout un monde aux abois;

      Vous faites votre bruit d’abeille dans les bois,

      O Jeanne, et vous mêlez votre charmant murmure

      Au grand Paris faisant sonner sa grande armure.

      Ah! quand je vous entends, Jeanne, et quand je vous vois

      Chanter, et, me parlant avec votre humble voix,

      Tendre vos douces mains au-dessus de nos têtes,

      Il me semble que l’ombre où grondent les tempêtes

      Tremble et s’éloigne avec des rugissements sourds,

      Et que Dieu fait donner à la ville aux cent tours

      Désemparée ainsi qu’un navire qui sombre,

      Aux énormes canons gardant le rempart sombre,

      A l’univers qui penche et que Paris défend,

      Sa bénédiction par un petit enfant.

      Paris, 30septembre1870.

       Table des matières

      I

      J’étais le vieux rôdeur sauvage de la mer,

      Une espèce de spectre au bord du gouffre amer;

      J’avais dans l’âpre hiver, dans le vent, dans le givre,

      Dans l’orage, l’écume et l’ombre, écrit un livre,

      Dont l’ouragan, noir souffle aux ordres du banni,

      Tournait chaque feuillet quand je l’avais fini;

      Je n’avais rien en moi que l’honneur imperdable;

      Je suis venu, j’ai vu la cité formidable;

      Elle avait faim, j’ai mis mon livre sous sa dent;

      Et j’ai dit à ce peuple altier, farouche, ardent,

      A ce peuple indigné, sans peur, sans joug, sans règle,

      J’ai dit à ce Paris, comme le klephte à l’aigle:

      Mange mon cœur, ton aile en croîtra d’un empan.

      Quand le Christ expira, quand mourut le grand Pan,

      Jean et Luc en Judée et dans l’Inde Épicure

      Entendirent un cri d’inquiétude obscure;

      La terre tressaillit quand l’Olympe tomba;

      D’Ophir à Chanaan et d’Assur à Saba,

      Comme un socle en ployant fait ployer la colonne,

      Tout l’Orient pencha quand croula Babylone;

      La même horreur sacrée est dans l’homme aujourd’hui,

      Et l’édifice sent fléchir le point d’appui;

      Tous tremblent pour Paris qu’étreint une main vile;

      On tuerait l’Univers si l’on tuait la Ville;

      C’est plus qu’un peuple, c’est le monde que les rois

      Tâchent de clouer, morne et sanglant, sur la croix;

      Le supplice effrayant du genre humain commence.

      Donc luttons. Plus que Troie et Tyr, plus que Numance,

      Paris assiégé doit l’exemple. Soyons grands.

      Affrontons les bandits conduits par les tyrans.

      Les Huns reviennent comme au temps de Frédégaire;

      Laissons rouler vers nous les machines de guerre;

      Faisons front, tenons tête; acceptons, seuls, trahis,

      Sanglants, le dur travail de sauver ce pays.

      Tomber, mais sans avoir tremblé, c’est la victoire.

      Être la rêverie immense de l’histoire,

      Faire que tout chercheur du vrai, du grand, du beau,

      Met le doigt sur sa bouche en voyant un tombeau,

      C’est aussi bien l’honneur d’un peuple que d’un homme,

      Et Caton est trop grand s’il est plus grand que Rome;

      Rome doit l’égaler, Rome doit l’imiter;

      Donc Rome doit combattre et Paris doit lutter.

      Notre labeur finit par être notre gerbe.

      Combats, ô mon Paris! aie, ô peuple superbe,

      Criblé de flèches, mais sans tache à ton écu,

      L’illustre acharnement de n’être pas vaincu.

      II

      Et voilà donc les jours tragiques revenus!

      On dirait, à voir tant de signes inconnus,

      Que pour les nations commence une autre hégire.

      Pâle Alighieri, toi; frère de Cynégire,

      O sévères témoins, ô justiciers égaux,

      Penchés, l’un sur Florence et l’autre sur Argos,

      Vous qui fîtes, esprits sur qui l’aigle se pose,

      Ces livres redoutés où l’on sent quelque chose

      De


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