L'année terrible. Victor Hugo

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L'année terrible - Victor Hugo


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      Que Pline aille au Vésuve, Empédocle à l’Etna,

      C’est que dans le cratère une aube rayonna,

      Et ces grands curieux ont raison; qu’un brahmine

      Se fasse à Benarès manger par la vermine,

      C’est pour le paradis et cela se comprend;

      Qu’à travers Lipari de laves s’empourprant,

      Un pêcheur de corail vogue en sa coraline,

      Frêle planche que lèche et mord la mer féline,

      Des caps de Corse aux rocs orageux de Corfou;

      Que Socrate soit sage et que Jésus soit fou,

      L’un étant raisonnable et l’autre étant sublime;

      Que le prophète noir crie autour de Solime

      Jusqu’à ce qu’on le tue à coups de javelots;

      Que Green se livre aux airs et Lapeyrouse aux flots,

      Qu’Alexandre aille en Perse ou Trajan chez les Daces,

      Tous savent ce qu’ils font; ils veulent: leurs audaces

      Ont un but; mais jamais les siècles, le passé,

      L’histoire n’avaient vu ce spectacle insensé,

      Ce vertige, ce rêve, un homme qui lui-même,

      Descendant d’un sommet triomphal et suprême,

      Tirant le fil obscur par où la mort descend,

      Prend la peine d’ouvrir sa fosse, et, se plaçant

      Sous l’effrayant couteau qu’un mystère environne,

      Coupe sa tête afin d’affermir sa couronne!

       Table des matières

      Quand la comète tombe au puits des nuits, du moins

      A-t-elle en s’éteignant les soleils pour témoins

      Satan précipité demeure grandiose;

      Son écrasement garde un air d’apothéose;

      Et sur un fier destin, farouche vision,

      La haute catastrophe est un dernier rayon.

      Bonaparte jadis était tombé; son crime,

      Immense, n’avait pas déshonoré l’abîme;

      Dieu l’avait rejeté, mais sur ce grand rejet

      Quelque chose de vaste et d’altier surnageait;

      Le côté de clarté cachait le côté d’ombre;

      De sorte que la gloire aimait cet homme sombre,

      Et que la conscience humaine avait un fond

      De doute sur le mal que les colosses font.

      Il est mauvais qu’on mette un crime dans un temple,

      Et Dieu vit qu’il fallait recommencer l’exemple.

      Lorsqu’un titan larron a gravi les sommets,

      Tout voleur l’y veut suivre; or il faut désormais

      Que Sbrigani ne puisse imiter Prométhée;

      Il est temps que la terre apprenne épouvantée

      A quel point le petit peut dépasser le grand,

      Comment un ruisseau vil est pire qu’un torrent,

      Et de quelles stupeurs la main du sort est pleine,

      Même après Waterloo, même après Sainte-Hélène!

      Dieu veut des astres noirs empêcher le lever.

      Comme il était utile et juste d’achever

      Brumaire et ce Décembre encor couvert de voiles

      Par une éclaboussure allant jusqu’aux étoiles

      Et jusqu’aux souvenirs énormes d’autrefois,

      Comme il faut au plateau jeter le dernier poids,

      Celui qui pèse tout voulut montrer au monde,

      Après la grande fin, l’écroulement immonde,

      Pour que le genre humain reçût une leçon,

      Pour qu’il eût le mépris ayant eu le frisson,

      Pour qu’après l’épopée on eût la parodie,

      Et pour que nous vissions ce qu’une tragédie

      Peut contenir d’horreur, de cendre et de néant

      Quand c’est un nain qui fait la chute d’un géant.

      Cet homme étant le crime, il était nécessaire

      Que tout le misérable eût toute la misère,

      Et qu’il eût à jamais le deuil pour piédestal;

      Il fallait que la fin de cet escroc fatal

      Par qui le guet-apens jusqu’à l’empire monte

      Fût telle que la boue elle-même en eût honte,

      Et que César, flairé des chiens avec dégoût,

      Donnât, en y tombant, la nausée à l’égout.

       Table des matières

      Azincourt est riant. Désormais Ramillies,

      Trafalgar, plaisent presque à nos mélancolies;

      Poitiers n’est plus le deuil, Blenheim n’est plus l’affront,

      Crécy n’est plus le champ où l’on baisse le front,

      Le noir Rosbach nous fait l’effet d’une victoire.

      France, voici le lieu hideux de ton histoire,

      Sedan. Ce nom funèbre, où tout vient s’éclipser,

      Crache-le, pour ne plus jamais le prononcer.

       Table des matières

      Plaine! affreux rendez-vous! Ils y sont, nous y sommes.

      Deux vivantes forêts, faites de têtes d’hommes,

      De bras, de pieds, de voix, de glaives, de fureur,

      Marchent l’une sur l’autre et se mêlent. Horreur!

      Cris! Est-ce le canon? sont-ce des catapultes?

      Le sépulcre sur terre a parfois des tumultes,

      Nous appelons cela hauts faits, exploits; tout fuit,

      Tout s’écroule, et le ver dresse la tête au bruit.

      Des condamnations sont par les rois jetées

      Et sont par l’homme, hélas! sur l’homme exécutées;

      Avoir tué son frère est le laurier qu’on a.

      Après


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