Le petit vieux des Batignolles. Emile Gaboriau

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Le petit vieux des Batignolles - Emile Gaboriau


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leur échapper, je serais resté honnête homme.

      C’est en entendant cette réponse que l’idée me vint de recueillir mes souvenirs.

      —Il faut qu’on sache!... me disais-je.

      Et en publiant aujourd’hui mes mémoires, j’ai l’espérance, je dirai plus, j’ai la conviction d’accomplir une œuvre morale d’une haute utilité.

      N’est-ce pas être utile, en effet, que de dépouiller le crime de sa sinistre poésie, et de le montrer tel qu’il est: lâche, ignoble, abject, repoussant?...

      N’est-ce pas être utile que de prouver qu’il n’est pas au monde d’êtres aussi misérables que les insensés qui ont déclaré la guerre à la société?

      Voilà ce que je prétends faire.

      J’établirai irrécusablement qu’on a tout intérêt—et je dis un intérêt immédiat, positif, mathématique, escomptable même, à être honnête.

      Je démontrerai clair comme le jour qu’avec notre organisation sociale, grâce au chemin de fer et au télégraphe électrique, l’impunité est impossible.

      Le châtiment peut se faire attendre... il vient toujours.

      Et alors, sans doute, il se rencontrera des malheureux qui réfléchiront avant de s’abandonner...

      Plus d’un, que le faible murmure de sa conscience n’eût pas retenu, sera arrêté par la voix salutaire de la peur...

      Dois-je expliquer maintenant ce que sont ces souvenirs?

      J’essaye de décrire les luttes, le succès et les défaites d’une poignée d’hommes dévoués chargés d’assurer la sécurité de Paris.

      Combien sont-ils pour tenir en échec tous les malfaiteurs d’une capitale qui, avec sa banlieue, compte plus de trois millions d’habitants?

      Ils sont deux cents.

      C’est à eux que je dédie ce livre.

      Et ceci dit, je commence.

       Table des matières

       Table des matières

      Lorsque j’achevais mes études pour devenir officier de santé,—c’était le bon temps, j’avais vingt-trois ans,—je demeurais rue Monsieur-le-Prince; presque au coin de la rue Racine.

      J’avais là, pour trente francs par mois, service compris, une chambre meublée qui en vaudrait bien cent aujourd’hui; si vaste que je passais très-aisément les manches de mon paletot sans ouvrir la fenêtre.

      Sortant de bon matin pour suivre les visites de mon hôpital, rentrant fort tard parce que le café Leroy avait pour moi d’irrésistibles attraits, c’est à peine si je connaissais de vue les locataires de ma maison, gens paisibles tous, rentiers ou petits commerçants.

      Il en est un, cependant, avec qui, peu à peu, je finis par me lier.

      C’était un homme de taille moyenne, à physionomie insignifiante, toujours scrupuleusement rasé, et qu’on appelait, gros comme le bras, monsieur Méchinet.

      Le portier le traitait avec une considération toute particulière, et ne manquait jamais, quand il passait devant sa loge, de retirer vivement sa casquette.

      L’appartement de M. Méchinet ouvrant sur mon palier, juste en face de la porte de ma chambre, nous nous étions à diverses reprises trouvés nez à nez. En ces occasions, nous avions l’habitude de nous saluer.

      Un soir, il entra chez moi me demander quelques allumettes; une nuit, je lui empruntai du tabac; un matin, il nous arriva de sortir en même temps et de marcher côte à côte un bout de chemin en causant...

      Telles furent nos premières relations.

      Sans être ni curieux ni défiant,—on ne l’est pas à l’âge que j’avais alors,—on aime à savoir à quoi s’en tenir sur le compte des gens avec lesquels on se lie.

      J’en vins donc naturellement, non pas à observer l’existence de mon voisin, mais à m’occuper de ses faits et gestes.

      Il était marié, et madame Caroline Méchinet, blonde et blanche, petite, rieuse et dodue, paraissait adorer son mari.

      Mais la conduite de ce mari n’en était pas plus régulière. Fréquemment il décampait avant le jour et souvent le soleil était levé quand je l’entendais regagner son domicile. Parfois il disparaissait des semaines entières...

      Que la jolie petite madame Méchinet tolérât cela, voilà ce que je ne pouvais concevoir.

      Intrigué, je pensai que notre portier, bavard d’ordinaire comme une pie, me donnerait quelques éclaircissements.

      Erreur!... A peine avais-je prononcé le nom de Méchinet qu’il m’envoya promener de la belle façon, me disant, en roulant de gros yeux, qu’il n’était pas dans ses habitudes de «moucharder» ses locataires.

      Cet accueil redoubla si bien ma curiosité que, bannissant toute vergogne, je m’attachai à épier mon voisin.

      Alors, je découvris des choses qui me parurent énormes.

      Une fois, je le vis rentrer habillé à la dernière mode, la boutonnière endimanchée de cinq ou six décorations; le surlendemain, je l’aperçus dans l’escalier vêtu d’une blouse sordide et coiffé d’un haillon de drap qui lui donnait une mine sinistre.

      Et ce n’est pas tout. Par une belle après-midi, comme il sortait, je vis sa femme l’accompagner jusqu’au seuil de leur appartement, et là l’embrasser avec passion, en disant:

      —Je t’en supplie, Méchinet, sois prudent, songe à ta petite femme!

      Sois prudent!... Pourquoi?... A quel propos? Qu’est-ce que cela signifiait?... La femme était donc complice!...

      Ma stupeur ne devait pas tarder à redoubler.

      Une nuit, je dormais profondément, quand soudain on frappa à ma porte à coups précipités.

      Je me lève, j’ouvre...

      M. Méchinet entre, ou plutôt se précipite chez moi, les vêtements en désordre et déchirés, la cravate et le devant de sa chemise arrachés, la tête nue, le visage tout en sang...

      —Qu’arrive-t-il? m’écriai-je épouvanté.

      Mais lui, me faisant signe de me taire:

      —Plus bas!... dit-il, on pourrait vous entendre... Ce n’est peut-être rien quoique je souffre diablement... Je me suis dit que vous, étudiant en médecine, vous sauriez sans doute me soigner cela...

      Sans mot dire, je le fis asseoir, et je me hâtai de l’examiner et de lui donner les soins nécessaires.

      Encore qu’il y eût eu une grande effusion de sang, la blessure était légère... Ce n’était, à vrai dire, qu’une éraflure superficielle partant de l’oreille gauche et s’arrêtant à la commissure des lèvres.

      Le pansement terminé:

      —Allons, me voilà encore sain et sauf pour cette fois, me dit M. Méchinet. Mille remerciements, cher monsieur Godeuil. Surtout, de grâce, ne parlez à personne de ce petit accident, et... bonne nuit.

      Bonne nuit!... Je songeais bien à dormir, vraiment!

      Quand je me rappelle tout ce qu’il


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