Le petit vieux des Batignolles. Emile Gaboriau
Читать онлайн книгу.pensions que le plus fort était fait; nous comptions sans la femme.
Jusqu’à ce moment, elle était restée comme évanouie sur un fauteuil, sans souffler mot, sans paraître seulement comprendre ce qui se passait.
Mais quand elle vit que bien décidément nous emmenions son homme, elle bondit comme une lionne et se jeta en travers de la porte en criant: «Vous ne passerez pas!» Parole d’honneur, elle était superbe, mais Goulard en a bien vu d’autres. «Allons, allons, ma petite mère, fit-il, ne nous fâchons pas; on vous le rendra, votre mari!»
Cependant, bien loin de nous faire place, elle se cramponnait plus fortement au chambranle, jurant que son mari était innocent; déclarant que si on le conduisait en prison, elle le suivrait, tantôt nous menaçant et nous accablant d’invectives, tantôt nous suppliant de sa voix la plus douce...
Puis, quand elle comprit que rien ne nous empêcherait de remplir notre devoir, elle lâcha la porte, et, se jetant au cou de son mari: «O cher bien-aimé, gémissait-elle, est-ce possible qu’on t’accuse d’un crime, toi... toi!... Dis-leur donc, à ces hommes, que tu es innocent!...»
Vrai, nous étions tous émus, mais lui, plus insensible que nous, il eut la barbarie de repousser sa pauvre femme si brutalement qu’elle alla tomber comme une masse dans un coin de l’arrière-boutique...
C’était la fin heureusement.
La femme étant évanouie, nous en profitâmes pour emballer le mari dans le fiacre qui nous avait amenés.
Emballer est bien le mot, car il était devenu comme une chose inerte, il ne tenait plus debout, il fallut le porter... Et pour ne rien oublier, je dois dire que son chien, une espèce de roquet noir, voulait absolument sauter avec nous dans la voiture, et que nous avons eu mille peines à nous en débarrasser.
En route, comme de juste, Goulard essaya de distraire notre prisonnier et de le faire jaser... Mais impossible de lui tirer une parole du gosier. Ce n’est qu’en arrivant à la préfecture qu’il parut reprendre connaissance. Quand il fut bien et dûment installé dans une cellule des «secrets,» il se jeta sur son lit à corps perdu en répétant:
«—Que vous ai-je fait, ô mon Dieu, que vous ai-je fait!...»
A ce moment Goulard s’approcha de lui, et pour la seconde fois:—«Ainsi, interrogea-t-il, vous vous avouez coupable!»—De la tête, Monistrol fit: «Oui, oui!...» puis d’une voix rauque: «Je vous en prie, laissez-moi seul!» dit-il.
C’est ce que nous avons fait, après avoir eu soin, toutefois, de placer un surveillant en observation au guichet de la cellule, pour le cas où le gaillard essayerait d’attenter à ses jours...
Goulard et Poltin sont restés là-bas, et moi, me voilà!...
—C’est précis, grommela le commissaire, c’est on ne peut plus précis...
C’était aussi l’opinion du juge, car il murmura:
—Comment, après cela, douter de la culpabilité de Monistrol?
Moi, j’étais confondu, et cependant mes convictions étaient inébranlables. Et même, j’ouvrais la bouche pour hasarder une objection, quand M. Méchinet me prévint.
—Tout cela est bel et bon!... s’écria-t-il. Seulement, si nous admettons que Monistrol est l’assassin, nous sommes aussi forcés d’admettre que c’est lui qui a écrit son nom, là, par terre... et dame! ça, c’est roide...
—Bast! interrompit le commissaire, du moment où l’inculpé avoue, à quoi bon se préoccuper d’une circonstance que l’instruction expliquera...
Mais l’observation de mon voisin avait réveillé toutes les perplexités du juge. Aussi, sans se prononcer:
—Je vais me rendre à la préfecture, déclara-t-il, je veux interroger Monistrol ce soir même.
Et après avoir recommandé au commissaire de police de bien remplir toutes les formalités et d’attendre les médecins mandés pour l’autopsie du cadavre, il s’éloigna, suivi de son greffier, et de l’agent qui était venu nous annoncer le succès de l’arrestation.
—Pourvu que ces diables de médecins ne se fassent pas trop attendre! gronda le commissaire, qui songeait à son dîner.
Ni M. Méchinet ni moi ne lui répondîmes. Nous demeurions debout, en face l’un de l’autre, obsédés évidemment par la même idée.
—Après tout, murmura mon voisin, peut-être est-ce le vieux qui a écrit...
—Avec la main gauche, alors?... Est-ce possible!... Sans compter que la mort de ce pauvre bonhomme a dû être instantanée...
—En êtes-vous sûr?...
—D’après sa blessure, j’en ferais le serment... D’ailleurs, des médecins vont venir, qui vous diront si j’ai raison ou tort...
M. Méchinet tracassait son nez avec une véritable frénésie.
—Peut-être, en effet, y a-t-il là-dessous quelque mystère, dit-il... ce serait à voir...
C’est une enquête à refaire... Soit, refaisons-la... Et pour commencer, interrogeons la portière...
Et courant à l’escalier, il se pencha sur la rampe, criant:
—La concierge!... Hé! la concierge! montez un peu, s’il vous plaît...
V
En attendant que montât la concierge, M. Méchinet procédait à un rapide et sagace examen du théâtre du crime.
Mais c’est surtout la serrure de la porte d’entrée de l’appartement qui attirait son attention. Elle était intacte et la clef y jouait sans difficulté. Cette circonstance écartait absolument l’idée d’un malfaiteur étranger s’introduisant de nuit à l’aide de fausses clefs.
De mon côté, machinalement, ou plutôt inspiré par l’étonnant instinct qui s’était révélé en moi, je venais de ramasser ce bouchon à demi-recouvert de cire verte que j’avais remarqué à terre.
Il avait servi, et du côté de la cire, gardait les traces du tire-bouchon; mais, de l’autre bout, se voyait une sorte d’entaille assez profonde, produite évidemment par un instrument tranchant et aigu.
Soupçonnant l’importance de ma découverte, je la communiquai à M. Méchinet, et il ne put retenir une exclamation de plaisir.
—Enfin! s’écria-t-il, nous tenons donc enfin un indice!... Ce bouchon, c’est l’assassin qui l’a laissé tomber ici... Il y avait fiché la pointe fragile de l’arme dont il s’est servi. Conclusion: l’instrument du meurtre est un poignard à manche fixe, et non un de ces couteaux qui se ferment... Avec ce bouchon, je suis sûr d’arriver au coupable quel qu’il soit!...
Le commissaire de police achevait sa besogne dans la chambre, nous étions, M. Méchinet et moi, restés dans le salon, lorsque nous fûmes interrompus par le bruit d’une respiration haletante.
Presque aussitôt, se montra la puissante commère que j’avais aperçue dans le vestibule pérorant au milieu des locataires.
C’était la portière, plus rouge, s’il est possible, qu’à notre arrivée.
—Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur? demanda-t-elle à M. Méchinet.
—Asseyez-vous, madame, répondit-il.
—Mais, monsieur, c’est que j’ai du monde en bas...
—On vous attendra... je vous dis de vous asseoir.