Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.Elle commençait à s’apercevoir, la pauvre Maria, qu’elle avait eu tort à dix-huit ans de désespérer de trouver un homme qui réalisât ses idées de perfection ; Willoughby lui paraissait tout ce que son imagination pouvait créer de plus accompli. C’était sans doute son bon ange qui l’avait amené là au moment de sa chute ; la sympathie avait agi sur tous deux au même instant ; avant la création du monde, ils étaient destinés à se rencontrer, à s’aimer, à s’unir pour la vie ; leur mariage était écrit au ciel de tout temps ; ce rapport inouï dans leurs opinions, leurs goûts, leurs sentimens en était la preuve, et toute sa conduite lui assurait qu’il y pensait sérieusement.
Madame Dashwood aussi, avant que quinze jours se fussent écoulés, pensa exactement comme sa fille ; mais peut-être un peu plus qu’elle aux richesses dont sir Georges lui avait parlé, et secrètement elle se félicitait d’avoir obtenu du sort deux gendres tels qu’Edward Ferrars et Willoughby.
La préférence du colonel Brandon pour Maria, qui avait été sitôt découverte par ses amis, fut remarquée par Elinor quand tous les autres cessèrent d’y faire attention. On ne remarqua plus que son heureux rival, et madame Jennings voyant bien positivement qu’il n’y avait nul espoir de mariage avec le colonel, l’abandonna complètement, et dit qu’elle s’était trompée pour la première fois de sa vie, que le colonel Brandon ne songeait pas à Maria, qu’il était en effet trop âgé pour elle, que le jeune et charmant Willoughby lui convenait beaucoup mieux, et qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Elinor pensait tout autrement sur le colonel. Elle découvrit seulement alors que son attachement pour Maria n’était que trop réel. Le redoublement de sa tristesse, une émotion pénible qu’il cherchait à cacher, et qui perçait malgré lui quand Maria causait avec Willoughby ; tout confirmait à Elinor qu’il était très-amoureux et très-malheureux. Quel espoir pouvait avoir un homme de trente cinq ans, sombre et silencieux, opposé à un amant de dix ans plus jeune et vingt fois plus séduisant ? elle sentait bien que ce dernier convenait mieux à Maria sous tous les rapports, mais elle ne pouvait s’empêcher de plaindre du fond du cœur le colonel, et de désirer qu’il pût retrouver son indifférence, puisque son amour ne pouvait avoir aucun succès. Elle l’aimait ; et malgré sa gravité et sa réserve, il lui inspirait un grand intérêt. Ses manières quoique sérieuses étaient douces, et cette réserve paraissait plutôt être la suite de quelque peine ; que la disposition naturelle de son caractère. Sir Georges avait insinué quelques mots qui justifiaient ses soupçons, qu’il avait été malheureux, et d’après cela il lui inspirait du respect et de la compassion. Peut-être que cette estime et cette tendre pitié s’augmentèrent par la légèreté avec laquelle Maria et Willoughby parlaient de lui : parce qu’il n’était ni jeune ni brillant, ils paraissaient décidés à ne lui trouver aucun mérite.
Le colonel Brandon, disait un jour Willoughby, est précisément de cette espèce d’homme dont chacun dit du bien et que personne ne recherche ; on est, dit-on enchanté de le voir, et on n’a rien à lui dire.
— C’est exactement ce que je pense de lui, s’écria Maria. Ne vous en vantez pas dit Elinor, car c’est une grande injustice. Il est aimé et hautement estimé par tous les individus de la famille du Park, qui sont charmés de l’avoir chez eux, et moi je ne le vois jamais sans désirer de causer avec lui.
— Votre protection, mademoiselle, dit Willoughby, prouve certainement en sa faveur ; mais quant à l’estime des habitans du Park, vous me permettrez de la prendre plutôt comme un reproche. Celui qui rechercherait l’approbation de lady Middleton et de madame Jennings, ne trouverait que l’indifférence de toutes les autres femmes.
— Mais peut-être, dit Elinor, que votre critique, et celle de Maria, contrebalanceraient le suffrage de lady Middleton et de sa mère : si leur éloge est une censure, votre censure est peut-être un éloge ; elles ne sont pas plus incapables de discerner le vrai mérite, que vous êtes injustes et prévenus.
— Je ne reconnais pas votre douceur ordinaire à ce reproche, dit Maria ; le désir de défendre votre protégé, vous, rend un peu méchante avec nous.
— N’êtes-vous pas bien aise, Maria, que je sache défendre mes amis ! Mon protégé (comme vous l’appelez) est à-la-fois sensible et raisonnable, ce qui a toujours eu un grand attrait pour moi ; oui, Maria, même dans un homme entre trente et quarante. Il a très-bien vu le monde, il a voyagé avec fruit, il a lu, il a réfléchi. Je l’ai trouvé très en état de m’instruire sur plusieurs objets ; il a toujours répondu à mes questions avec la politesse et la complaisance d’un homme bien né et instruit sans pédanterie.
— Oui, oui, s’écria Maria légèrement, il vous a appris que le soleil des grandes Indes était brûlant, et que les mousquites y sont insupportables.
— Il me l’aurait dit, sans doute, si je le lui avais demandé ; mes questions n’ont pas eu pour objet ce que je sais déjà.
— Peut être, dit Willoughby, qu’il a été en état de vous parler des Nababs, des différentes castes, des palanquins, des éléphans, des femmes de toutes couleurs ; c’est un entretien très-touchant, très-intéressant et très instructif.
— Il n’est du moins pas méchant, dit Elinor. Mais je vous en prie, M. Willoughby, qu’est-ce que vous a fait le colonel Brandon, et pourquoi lui donnez-vous des ridicules ?
— Moi ! en aucune manière ; j’ai beaucoup de considération pour lui, je vous assure ; je le regarde comme un homme très-respectable, qui ne fait de mal à personne, qui a plus d’argent qu’il n’en peut dépenser, plus de temps qu’il n’en peut employer, et plus d’années qu’il ne voudrait.
— Ajoutez à ce portrait, dit Maria, qu’il n’a ni génie, ni goût, ni esprit ; que son imagination n’a rien de brillant, ses sentimens point de chaleur, et sa voix point d’expression.
— Vous décidez ses imperfections en masse avec tant de vivacité, dit Elinor, que tout ce que je pourrais dire paraîtrait insipide et froid, comme il vous paraît lui-même ; je dirai donc seulement qu’il est bon, sensible, indulgent, que son esprit est assez orné pour n’avoir nul besoin de briller en dépréciant l’esprit des autres, et que son cœur ne le lui permettrait pas.
— Ah ! miss Dashwood, s’écria Willoughby, vous en usez mal avec moi ; vous tâchez de me désarmer par la raison, mais vous n’y réussirez pas. J’ai trois grands motifs de haïr le colonel Brandon, contre lesquels vous n’avez rien à dire : il m’a menacé de la pluie un jour que je désirais le beau temps ; il a trouvé des défauts dans mon nouveau caricle, et je n’ai pu le persuader d’acheter ma jument brune. Vous conviendrez que voilà des griefs impardonnables. Je veux bien convenir avec vous cependant qu’à tout autre égard, son caractère est irréprochable ; mais en faveur de cet aveu, accordez-moi de rire quelquefois un peu en parlant de lui avec mademoiselle Maria.
CHAPITRE XI.
Lorsque mesdames Dashwood vinrent s’établir dans ce qu’on appelait (improprement il est vrai) une chaumière, elles ne s’attendaient guère qu’elles y trouveraient presque les plaisirs de la ville, ou du moins assez d’engagemens et de visites pour qu’il leur restât trop peu de temps à donner à des occupations sérieuses ; c’est cependant ce qu’il leur arriva. Dès que Maria fut rétablie, les plans d’amusement de sir Georges commencèrent avec une grande activité. Des bals à la maison du Park, des parties sur l’eau, des courses à cheval ou en caricle, se succédèrent sans interruption. Un très-beau mois d’octobre favorisait les promenades du matin ; on revenait dîner chez lady Middleton, et la danse, le jeu, la musique remplissaient les soirées. Willoughby ne manquait pas l’occasion de s’y rencontrer, et l’aisance, la familiarité que sir Georges établissait dans ses parties étaient exactement calculées pour augmenter l’inclination réciproque qui s’établissait