Programme des Épouses Interstellaires Coffret. Grace Goodwin
Читать онлайн книгу.cloîtrée, espèce de con. Ça m’intéresse pas. Je tourne la poignée et ouvre la porte. Va-t’en. Inutile de revenir. »
Les pleurnicheries de Curtis me tapent sur les nerfs. Comment ai-je pu perdre autant de temps avec ce type ?
Il s’approche lentement et regarde Noah d’un air malveillant. « Sans ce sale gosse d’extraterrestre, tu te comporterais pas comme une salope, Natalie. »
Pour le coup je commence à m’énerver. « Dégage de chez moi. Immédiatement.
— Certainement pas. Tout se passait bien avant que tu tombes enceinte. Débarrasse-toi de lui et on reprendra notre vie comme avant. »
Que je me débarrasse de lui ? « Tu deviens fou ? Tu veux tuer un pauvre enfant innocent.
— Un extraterrestre. » Curtis s’approche plus près, j’ouvre très grand la porte, je sors à l’extérieur, les pieds dans le froid, dans l’angle de la caméra de surveillance placée sur le perron. Je fourre les jambes de Noah sous mes bras pour essayer de le prémunir du froid.
« On est filmés, Curtis. Sors de chez moi. Si tu te pointes encore une fois ici, j’appelle les flics. »
Curtis aimerait rétorquer mais il regarde derrière moi, l’air paniqué.
« Dégage de chez ma femme avant que je te tue. »
Je connais cette voix. Je l’entends dans mes rêves. Je pousse un cri, tous mes poils se hérissent. Je me retourne très lentement.
Roark. Je ne peux plus parler, même pas murmurer. J’en crois pas mes yeux. Il est là.
Il est là.
Il est vivant !
« Qui êtes-vous ? » demande Curtis, les mains sur les hanches, comme s’il était chez lui.
Roark se place devant moi, bloquant la voie à Curtis. « Conseiller Roark de Trion, le mari de Natalie. Si tu dégages pas de chez elle vite fait, je te tue.
— Vous n’avez pas le droit. Vous irez en prison. Je suis l’ami de Natalie. Elle m’a invité.
— Tu mens, Curtis. Va-t’en, » je lui crie dessus. Ce n’est pas lui que je regarde, mais Roark.
Roark se tourne et me pousse vers la porte d’entrée afin que je me mette au chaud et à l’abri à l’intérieur. « Je crois que ma femme t’a ordonné de dégager et de plus jamais remettre les pieds ici. »
Le terme « ordonné » est lourd de sens, j’imagine que Curtis doit être tout rouge et avoir les yeux exorbités. Je ne peux pas le voir, vu la masse de muscles qui bloque ma vue. Roark est si grand, si séduisant, si … tout. J’avais oublié qu’il était aussi grand. Mon cœur bat la chamade, je me mets à trembler. Mes pieds sont transis de froid mais je m’en fiche. Noah s’agite, il a froid. Roark ici, je n’ai plus besoin de rester dehors. Je n’ai plus besoin de m’inquiéter des intentions mesquines de Curtis.
« Rentre, gara. Je m’occupe de cet abruti. »
J’acquiesce et me précipite dans la maison, me réfugie dans le bureau. Une cheminée électrique dispense une chaleur agréable, le parc et les jouets de Noah sont disposés par terre. Deux petits canapés que j’adore en suédine bleu foncé toute douce en forme de L font face au parc. Le cuir froid de mon enfance a cédé la place à une chaleur douce et moelleuse. La pièce est chaleureuse, elle est à moi.
A Noah et moi.
Je dépose mon fils dans son parc et reste à le regarder, mes mains tremblent. Je fais abstraction de la dispute qui se déroule dehors. J’ignore le hurlement de douleur de Curtis, ses élucubrations et ses malédictions tandis qu’il se précipite vers sa voiture et démarre en trombe. J’ai l’impression de vivre un rêve, un drôle de rêve. Mon époux se tient dans l’embrasure de la porte, il me regarde comme s’il venait de trouver un trésor, le rêve perd de sa consistance, il est bien trop réel.
« Roark, je murmure. J’arrive pas à élever la voix, je suis incapable de bouger.
— Je dois m’inquiéter au sujet de ce Terrien ? »
Roark parle d’une voix grave et possessive, je rigole. « Curtis ? Non. Aucun problème. »
Il n’existe pas. Il n’a jamais existé. Roark est ici, c’est qui Curtis déjà ?
Roark croise mon regard. Le soutient. Oui, ce regard qui me manquait tant. Le désespoir. L’envie. Le manque. L’amour.
Il fait trois pas et s’approche de moi, je dois lever la tête pour le regarder.
« T’es pas mort ? » Quelle question stupide, la seule qui me vienne à l’esprit, je le dévore des yeux, j’ose pas le toucher, j’ai trop peur qu’il disparaisse comme un fantôme. « La doctoresse m’a annoncé ta mort. »
Roark secoue la tête et m’attire contre lui. Son odeur, mon dieu, il sent trop bon. Ça me rappelle nos trop brefs moments de bonheur. Sa voix gronde dans sa poitrine et m’ébranle. « J’ai été capturé. Ils m’ont retenu prisonnier pendant neuf jours avant que j’arrive à m’échapper. Il y avait plus personne à l’Avant-poste Deux. J’ai été transporté sur un autre avant-poste, on m’a appris qu’il n’y avait aucun survivant. Ils m’ont dit que tu étais morte. » Il me serre étroitement. J’ai l’impression que mes côtes vont se briser, la douleur est la bienvenue. C’est vrai. Il est bien réel.
« Tu me croyais morte ? Ma voix est haut perchée.
— Oui, gara. Il inspire profondément. Oui, que les dieux m’en soient témoins. »
Je le repousse, je lutte contre la colère qui me noue le ventre, monte dans ma gorge, dans ma tête, baigne mes yeux de larmes. Je voulais pas pleurer mais les larmes tombent malgré moi. « Neuf jours ? »
Il pousse un grognement « Dix depuis aujourd’hui, mon amour.
— Dix jours ? Je hurle presque. Dix putains de jours ? C’est censé être drôle ? »
Roark effleure mon visage et repousse une mèche de cheveux derrière mon oreille. Comment peut-il garder son calme alors qu’il m’a menti ?
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Je le repousse et m’écarte, le parc de Noah faisant office de barrière. « Tu m’as cru morte ?
— Oui.
— Qu’est-ce que tu fais là, alors ? Ça remonte à des années-lumière, on fait quoi maintenant ? » Comment m’a t’il retrouvée ? Que fait-il ici ? Dix jours. Mon cul. Je suis seule comme une misérable depuis treize putains de mois. J’ai vécu ma grossesse seule, dans la peur. J’ai pleuré tous les soirs pendant des mois. Je porte son deuil depuis plus d’un an.
Dix jours ? Non. Impossible.
« Tu as activé le signal d’urgence du médaillon, femme. Je sais pas comment t’as fait mais j’ai jamais été aussi soulagé que lorsque j’ai entendu le tintement qui est parvenu jusqu’au terminal de transport sur Trion. J’ai accouru sur le champ. »
C’est. Quoi. Ce. Bordel ? « Quel tintement ? »
Il s’arrête près du parc où Noah a roulé sur le côté, très occupé à mordiller un nounours doré. Roark est bête ou simplement perplexe ? Il ne voit pas que Noah est son fils ? Il n’a même pas eu un regard pour lui, le portrait miniature de l’homme qui se tient devant moi. Je veux qu’il le regarde. Je veux qu’il le voie.
« Le médaillon que je t’ai donné, gara. Celui que j’ai mis à ta chaîne ce soir-là. Lorsque je me suis uni à toi pour toujours. On ne peut l’activer qu’en— » Sa voix s’éteint, pour la première fois, il se concentre entièrement sur Noah. Je veux que Roark reconnaisse son fils, qu’il sache qu’il est le sien.