Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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H la chapelle, et en N un poste à proximité de l'entrée D. Les petits bâtiments qui entouraient le donjon étaient d'une date postérieure à sa construction. La poterne E donnait accès dans de vastes jardins entourés eux-mêmes d'une enceinte 61.

      En France et en Normandie, dès l'époque carlovingienne, les enceintes des châteaux étaient flanquées de tours. Mais sur les bords du Rhin et les provinces voisines de la Germanie, il ne paraît pas que ce moyen de défense ait été usité avant le XIIIe siècle, ce qui ferait supposer que les tours flanquantes étaient une tradition gallo-romaine.

      «Les monuments féodaux du Xe siècle jusqu'aux croisades, dit M. de Krieg 62, ont, sur les deux rives du Rhin, leur type commun. On y trouve d'abord la tour carrée (rarement cylindrique) qui est ou assise sur des soubassements romains, ou copiée religieusement d'après ces modèles, avec leur socle, leur porte d'entrée au-dessus du sol et leur plate-forme. Ces tours ont pris le nom allemand de berch frid, en latin berefredus, en français beffroi... Les enceintes de ces plus anciens châteaux manquent absolument de flanquement extérieur. Elles sont surmontées d'une couronne de merlons...»

      Nous irons plus loin que M. de Krieg, et nous dirons même que les tours employées comme moyen de flanquement des enceintes ne se rencontrent que très-rarement dans les châteaux des bords du Rhin et des Vosges avant le XVe siècle. Le château de Saint-Ulrich, la partie ancienne du château de Hohenkoenigsbourg, le château de Koenigsheim, celui de Spesbourg, bien que bâtis pendant les XIIIe et XIVe siècles, sont totalement dépourvus de tours flanquantes 63. Ce sont des bâtiments formant des angles saillants, des figures géométriques rectilignes à l'extérieur et venant se grouper autour du donjon ou beffroi. La plupart de ces châteaux, élevés sur des points inaccessibles, prennent toute leur force dans la situation de leur assiette et ne sont que médiocrement défendus. Le donjon surmontant les bâtiments permettait de découvrir au loin la présence d'un ennemi, et la garnison, prévenue, pouvait facilement empêcher l'escalade de rampes abruptes, barrer les sentiers et arrêter un corps d'armée nombreux loin du château, sans même être obligée de se renfermer derrière ses murs.

      Cependant des situations analogues n'empêchaient pas les seigneurs français de munir de tours les flancs et angles saillants de leurs châteaux pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles.

      Il se fit, dans la construction des châteaux, au XIIIe siècle, une révolution notable. Jusqu'alors ces résidences ne consistaient, comme nous l'avons vu, que dans des enceintes plus ou moins étendues, simples ou doubles, au milieu desquelles s'élevaient le donjon qui servait de demeure seigneuriale et la salle quelquefois comprise dans le donjon même. Les autres bâtiments n'étaient que des appentis en bois séparés les uns des autres, ayant plutôt l'apparence d'un cantonnement que d'une résidence fixe. La chapelle, les réfectoires, cuisines, magasins et écuries étaient placés dans l'intérieur de l'enceinte et ne se reliaient en aucune façon aux fortifications. Nous avons vu que, dans le plan du château de Montargis (fig. 15), déjà les bâtiments de service sont attenants aux murailles, qu'ils sont bâtis dans un certain ordre et que ce sont des logis fixes. Il semblerait qu'au XIIIe siècle les habitudes des seigneurs et de leurs gens, plus civilisés, demandaient des dispositions moins barbares que celles acceptées jusqu'alors. Nous voyons combien les logis fixes ont peu d'importance encore dans le château Gaillard, résidence souveraine élevée à la fin du XIIe siècle. On a peine à comprendre comment une garnison de quelques centaines d'hommes pouvait vivre dans cet étroit espace, presque exclusivement occupé par les défenses. Les soldats devaient coucher pêle-mêle dans les tours et sous quelques appentis adossés aux murailles.

      En Angleterre, où les documents écrits abondent sur les habitations seigneuriales anciennes, on trouve les preuves de cette révolution apportée par le XIIIe siècle. À cette époque, les résidences royales fortifiées reçoivent de nombreuses adjonctions en bâtiments élevés avec un certain luxe, les châteaux des barons prennent un caractère plus domestique; souvent même le donjon, ainsi que le dit M. Parker dans son Architecture domestique 64, fut abandonné pour une salle et des chambres construites dans l'enceinte intérieure. C'est à cause de ce changement que, dans presque toutes les descriptions de châteaux bâtis du temps de Henri III et d'Edward Ier, les grandes tours ou donjons sont représentés comme étant dans un état délabré et généralement sans couvertures. Ils avaient été abandonnés, comme habitation, à cause de leur peu de commodité, bien que par la force de leur construction ils pussent encore, moyennant quelques réparations, être employés en temps de guerre. Les ordres de restaurations aux «maisons royales» dans divers châteaux sont très-nombreux pendant le XIIIe siècle. Ces ordres ne s'appliquent pas aux châteaux d'Edward (Edwardian castles), édifices généralement bâtis par Edward Ier, et dans lesquels de nombreux appartements destinés à différents usages étaient disposés suivant un plan général, mais bien aux châteaux de date normande, qui dès lors prirent un caractère d'habitation par des constructions plus récentes. Les ordres donnés par Henri III pour les réparations et additions aux manoirs royaux prouvent qu'aucun plan systématique n'était adopté lorsqu'il s'agissait de ces adjonctions. Lorsqu'une grande surface de terrain était entourée d'une clôture fortifiée et formait ce que l'on appelait une cour (curia), dans laquelle le logis primitif était insuffisant, il devint assez ordinaire, au XIIIe siècle, d'augmenter ce logement, selon les besoins, en élevant successivement de nouvelles constructions, telles que chambres, chapelles, cuisines, qui d'abord furent semées çà et là sur la surface de l'enclos. Lorsqu'un certain nombre de ces bâtiments avaient ainsi été appropriés ou créés, on les réunissait successivement par des passages couverts (aleia) construits en bois, quelquefois en façon de portiques ouverts, mais plus souvent fermés sur les côtés. Ces bâtiments étaient jetés au milieu des enceintes, laissant les défenses libres, comme le serait un bourg ou village enclos de murs. Au XIIIe siècle, les services se relient davantage à l'enceinte même, que les bâtiments intérieurs contribuent à renforcer; c'est seulement alors qu'apparaît le château sous le rapport architectonique, les établissements antérieurs n'étant que des défenses plus ou moins fortes et étendues enveloppant des habitations et des bâtiments de service de toute nature et de dimensions fort diverses sans aucune idée d'ensemble. Le XIIIe siècle vit élever de magnifiques châteaux qui joignaient à leurs qualités de forteresses celles de résidences magnifiques abondamment pourvues de leurs services et de tout ce qui est nécessaire à la vie d'un seigneur vivant au milieu de son domaine entouré d'une petite cour et d'une garnison.

      À partir de saint Louis, la féodalité décroît; elle est absorbée par la royauté d'une part, et entamée par le peuple de l'autre; les édifices qu'elle élève se ressentent naturellement de cette situation politique; ils se dressent sur le sol lorsqu'elle reprend de l'influence; ils sont plus rares ou plus pauvres lorsque le pouvoir royal et l'organisation nationale prennent de la force et se constituent. À la mort de Philippe-Auguste, en 1223, la féodalité, qui avait aidé ce prince à réunir à la couronne les plus belles provinces de France, se trouvait riche et puissante; à l'exemple du roi, quelques grands vassaux avaient absorbé nombre de fiefs, soit par des alliances, soit comme prix de leurs services, soit par suite de la ruine des nobles qui avaient tout perdu pendant les croisades du XIIe siècle. Pendant les premières années de la minorité de saint Louis, il s'était formé, comme chacun sait, une ligue formidable contre la couronne de France gardée par une femme encore jeune et dont on ne soupçonnait pas les grandes qualités politiques. Parmi les vassaux de la couronne de France coalisés contre le roi enfant, un des plus puissants était Enguerrand III, sire de Coucy, seigneur de Saint-Gobain, d'Assis, de Marle, de la Fère, de Folembray, etc. Son esprit indomptable, son caractère indépendant étaient excités par d'immenses richesses; un instant ce vassal pensa pouvoir mettre la main sur la couronne de France; mais ses sourdes menées et ses projets ambitieux furent déjoués par la politique adroite de la reine Blanche, qui sut enlever à la coalition féodale un de ses plus puissants appuis, le comte de Champagne. Le sire de Coucy fut bientôt obligé de prêter serment de fidélité entre les mains du roi, qui ne voulut pas se souvenir


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<p>61</p>

Ce château n'existe plus; le plan des élévations et détails, d'un grand intérêt, sont donnés par Ducerceau dans ses Maisons royales de France.

<p>62</p>

Notes insérées dans le Bulletin monum. Vol. IX, p. 246 et suiv.

<p>63</p>

Voy. les Notes sur quelques châteaux de l'Alsace, par M. Al. Ramé. Paris, 1855.

<p>64</p>

Some account of Domest. Archit. in Eng. from the conq. to the end of the thirteenth century. Ch. III.