Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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qui l'avoisine, de 1225 à 1230. Le caractère de la sculpture, les profils, ainsi que la construction, ne permettent pas de lui assigner une époque plus ancienne ni plus récente 65.

      Le château de Coucy n'est plus une enceinte flanquée enveloppant des bâtiments disposés au hasard; c'est un édifice vaste, conçu d'ensemble et élevé d'un seul jet, sous une volonté puissante et au moyen de ressources immenses. Son assiette est admirablement choisie et ses défenses disposées avec un art dont la description ne donne qu'une faible idée 66.

      Bâti à l'extrémité d'un plateau de forme très-irrégulière, le château de Coucy domine des escarpements assez roides qui s'élèvent de cinquante mètres environ au-dessus d'une riche vallée, terminée au nord-ouest par la ville de Noyon et au nord-nord-est par celle de Chauny; il couvre une surface de dix mille mètres environ. Entre la ville et le château est une vaste basse-cour fortifiée, dont la surface est triple au moins de celle occupée par le château. Cette basse-cour renfermait des salles assez étendues dont il reste des amorces visibles encore aujourd'hui, enrichies de colonnes et chapiteaux sculptés, avec voûtes d'arêtes, des écuries et une chapelle orientée tracée en A sur notre plan du rez-de-chaussée (16).

      Cette chapelle était évidemment d'une époque antérieure aux constructions d'Enguerrand III. On ne communiquait de la ville à la basse-cour ou esplanade que par une porte donnant sur la ville et défendue contre elle 67 par deux petites tours. La basse-cour était protégée par le donjon B qui domine tout son périmètre et ses remparts flanqués par les deux tours du château C D. Un fossé de vingt mètres de largeur sépare le château de la basse-cour. Un seul pont jeté en E sur ce fossé donnait entrée dans le château; il était composé de piles isolées avec deux tabliers à bascule en bois, défendus par deux portes avancées E' E'' et deux corps de garde F F' posés sur des piles de manière à laisser libre le fond du fossé. La porte en G est munie de doubles herses et de vantaux. Cette porte s'ouvre sur un long passage voûté qu'il était facile de défendre et qui devait être muni de machicoulis. Des deux côtés du couloir sont disposées des salles de gardes H voûtées et pouvant contenir des postes nombreux. Au-dessus s'élevait un logis à plusieurs étages dominant la porte et se reliant à la courtine I. Du couloir d'entrée on débouchait dans la cour K du château entourée de bâtiments appuyés sur les courtines. En L se trouvaient des bâtiments de service voûtés à rez-de-chaussée et surmontés de deux étages; en M les appartements d'habitation à trois étages du côté où le château est le moins accessible du dehors et desservis par le grand escalier M'; en N de vastes magasins voûtés à rez-de-chaussée (celliers) avec caves au-dessous fermées en berceau ogival. Les magasins N, au premier étage, portaient la grand'salle éclairée sur les dehors. En O, les soubassements de la chapelle qui, au premier étage, se trouvait de plain-pied avec la grand'salle. Les cuisines étaient très-probablement placées en P, avec escalier particulier P' communiquant aux caves; elles possédaient une cour particulière en R à laquelle on arrivait sous la chapelle dont le rez-de-chaussée reste à jour. Les tours C, D, S, T possèdent deux étages de caves et trois étages de salles au-dessus du sol, sans compter l'étage des combles. Elles sont, comme on le remarquera, très-saillantes sur les courtines, de manière à les bien flanquer. Ces tours, qui n'ont pas moins de dix-huit mètres de diamètre hors oeuvre sur trente-cinq mètres de hauteur environ au-dessus du sol extérieur, ne sont rien auprès du donjon qui porte trente-un mètres de diamètre hors oeuvre sur soixante-quatre mètres depuis le fond du fossé jusqu'au couronnement. Outre son fossé, ce donjon possède une enceinte circulaire extérieure ou chemise qui le protége contre les dehors du côté de la basse-cour. On montait du sol de la cour au chemin de ronde de la chemise par la rampe V, près l'entrée du donjon. On communiquait des salles P, au moyen d'un escalier, au fond du fossé de la chemise, avec les dehors par une poterne percée en X, munie de vantaux, de machicoulis et de herses, correspondant à une seconde poterne Y avec pont-levis donnant sur l'escarpement et masquée par la tour C. Un chemin de ronde inférieur X' voûté en demi-berceau percé au niveau du fond du fossé suit la circonférence de la courtine, et était évidemment destiné à arrêter les travaux des mineurs, comme nos galeries de contre-mine permanentes ménagées sous les revêtements des courtines et bastions. Dans ce souterrain en X'' se trouve une source excellente à fleur de terre, à l'usage de la cuisine. En W sont des latrines prises aux dépens de l'épaisseur du mur de la chemise, pour les gardes de cette enceinte et les gens de cuisine. En Z était une cage avec escalier de bois pouvant être détruit facilement, qui mettait le souterrain intérieur en communication avec le chemin de ronde supérieur. Le petit escalier Q donnant dans la salle P desservait la herse et le machicoulis de la poterne X. Le souterrain inférieur X' se trouvait encore en communication avec l'escalier U desservant les ouvrages supérieurs de la porte. Si l'assiégeant s'était emparé de la poterne X (ce qui était difficile, puisqu'il fallait franchir la première porte Y et son pont-levis, traverser le chemin Y X sous les projectiles lancés de la partie supérieure de la chemise et du crénelage ouvert sur le mur J, forcer deux vantaux et affronter un machicoulis), il se trouvait en face la herse donnant sur le fond du fossé de la chemise, ayant à sa gauche la porte ferrée qui fermait le bas de l'escalier de la cuisine, et arrêté dans la galerie inférieure X' par la source X'' qui est un véritable puits dans un souterrain obscur. S'il forçait la herse, il pénétrait dans le fond du fossé intérieur V', lequel est dallé et sans communication avec le sol de la cour; battu par les défenses supérieures du donjon qui lui envoyaient des projectiles d'une hauteur de 60 mètres et par le chemin de ronde de la courtine, il était perdu, d'autant plus que les hommes occupant ce chemin de ronde pouvaient descendre par l'escalier Z, passer dans le souterrain X', traverser la source sur une planche, et lui couper la retraite en reprenant la poterne derrière lui. Si, du fond du fossé extérieur, il parvenait à miner le pied de la chemise, il trouvait le souterrain occupé; ce travail de sape ne pouvait en aucune façon affaiblir les murs de la chemise, car on remarquera que ce souterrain est pris aux dépens d'un talus, d'un soubassement, derrière lequel la maçonnerie de la chemise reste intacte.

      De toutes les défenses du château de Coucy, le donjon est de beaucoup la plus forte et la mieux traitée. Cette belle construction mérite une étude particulière, que nous développons à l'article DONJON.

      Les tours et donjon du château de Coucy sont garnis, dans leur partie supérieure, de corbeaux saillants en pierre destinés à recevoir des hourds en bois (voy. HOURD). À la fin du XIVe siècle, la grand'salle et les bâtiments d'habitation M furent reconstruits, ainsi que les étages supérieurs de la porte; des jours plus larges furent percés à l'extérieur, et les courtines reçurent des machicoulis avec parapets en pierre, suivant la méthode du temps, au lieu des consoles avec hourds en bois. Les autres parties du château restèrent telles qu'Enguerrand III les avait laissées.

      Ce ne fut que pendant les troubles de la Fronde que cette magnifique résidence seigneuriale fut entièrement ravagée. Son gouverneur, nommé Hébert, fut sommé, par le cardinal Mazarin, de rendre la place entre les mains du maréchal d'Estrée, gouverneur de Laon. Hébert ayant résisté à cette sommation, en prétextant d'ordres contraires laissés par le roi Louis XIII, le siége fut mis, le 10 mai 1652, devant la ville, qui fut bientôt prise; puis, quelque temps après, la garnison du château se vit contrainte de capituler. Le cardinal Mazarin fit immédiatement démanteler les fortifications. Le sieur Métezeau, fils de l'ingénieur qui construisit la digue de la Rochelle, fut celui que le cardinal envoya à Coucy pour consommer cette oeuvre de destruction. Au moyen de la mine, il fit sauter la partie antérieure de la chemise du donjon et la plupart de celles des autres tours, incendia les bâtiments du château et le rendit inhabitable. Depuis lors, les habitants de Coucy, jusqu'à ces derniers temps, ne cessèrent de prendre dans l'enceinte du château les pierres dont ils avaient besoin pour la construction de leurs maisons, et cette longue destruction compléta l'oeuvre de Mazarin. Cependant, malgré ces causes de ruine, la masse du château de Coucy est encore debout et est restée une des plus imposantes merveilles de l'époque féodale Скачать книгу


<p>65</p>

Il est entendu que nous ne parlons pas ici des reconstructions entreprises et terminées à la fin du XIVe siècle.

<p>66</p>

Voyez, pour l'assiette du château de Coucy, à l'article ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 20.

<p>67</p>

Cette porte pouvait aussi être défendue, mais beaucoup plus faiblement, contre la baille, dans le cas où celle-ci eût été prise avant la ville.