Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Читать онлайн книгу.d'une excellente qualité, n'ont subi aucune altération; les bâtisses étaient conçues de manière à durer éternellement, et les peintures intérieures, dans les endroits abrités, sont aussi fraîches que si elles venaient d'être faites 69.
Autant qu'on peut le reconnaître dans la situation actuelle, le château de Coucy est traversé dans ses fondations par de nombreux et vastes souterrains, qui semblent avoir été systématiquement disposés pour établir des communications cachées entre tous les points de la défense intérieure et les dehors. La tradition va même jusqu'à prétendre qu'un de ces souterrains, dont l'entrée se voit dans les grandes caves sous les bâtiments d'habitation M, se dirigeait à travers les coteaux et vallées jusqu'à l'abbaye de Prémontré. Nous sommes loin de garantir le fait, d'autant que des légendes semblables s'attachent aux ruines de tous les châteaux du moyen âge en France; mais il est certain que de tous côtés, dans les cours, on aperçoit des bouches de galeries voûtées qui sont aujourd'hui remplies de décombres 70.
Nous donnons (17) le plan du premier étage du château de Coucy. On voit en A les logis placés au-dessus de la porte d'entrée, en B le donjon avec sa chemise. On trouvera, à l'article DONJON, la description de cette magnifique construction. En B la chapelle orientée, largement conçue et exécutée avec une grandeur sans pareille, si l'on en juge par les fragments des meneaux des fenêtres qui jonchent le sol; en D la grand'salle du tribunal, dite des Preux, parce qu'on y voyait, dans des niches, les statues des neuf preux. Deux cheminées chauffaient cette salle, largement éclairée à son extrémité méridionale par une grande verrière ouverte dans le pignon. Une charpente en bois avec berceau ogival en bardeaux couvrait cette salle. En E la salle des neuf Preuses, dont les figures étaient sculptées en ronde-bosse sur le manteau de la cheminée. Un boudoir F, pris aux dépens de l'épaisseur de la courtine, accompagnait cette salle; cette pièce, éclairée par une grande et large fenêtre donnant sur la campagne du côté de Noyon, était certainement le lieu le plus agréable du château; elle était chauffée par une petite cheminée et voûtée avec élégance par de petites voûtes d'arêtes.
Ces dernières bâtisses datent de la fin du XIVe siècle; on voit parfaitement comment elles furent incrustées dans les anciennes constructions; comment, pour les rendre plus habitables, on suréleva les courtines d'un étage; car, dans la construction primitive, ces courtines n'atteignaient certainement pas un niveau aussi élevé, laissaient aux cinq tours un commandement plus considérable, et les bâtiments d'habitation avaient une beaucoup moins grande importance. Du temps d'Enguerrand III, la véritable habitation du seigneur était le donjon; mais quand les moeurs féodales, de rudes qu'elles étaient, devinrent au contraire, vers la fin du XIVe siècle, élégantes et raffinées, ce donjon dut paraître fort triste, sombre et incommode; les seigneurs de Coucy bâtirent alors ces élégantes constructions ouvertes sur la campagne, en les fortifiant suivant la méthode de cette époque. Le donjon et sa chemise, les quatre tours d'angle, la partie inférieure des courtines, les soubassements de la grand'salle, le rez-de-chaussée de l'entrée et la chapelle, ainsi que toute l'enceinte de la basse-cour, appartiennent à la construction primitive du château de Coucy sous Enguerrand III.
Ces quatre tours méritent que nous en disions quelques mots. Chaque chambre, à partir du rez-de-chaussée, se compose, à l'intérieur, de six pans avec niches, dont quelques-unes sont percées d'embrasures. Ces pièces sont voûtées, et les niches se chevauchent à chaque étage, les pleins étant au-dessus des vides et vice-versa (voy. TOUR). Des cheminées sont ouvertes dans les salles, qui sont en outre accompagnées de latrines (voy. PRIVÉS). On remarquera que les escaliers à vis ne montent pas de fond, mais s'interrompent, à partir du premier étage, pour reprendre de l'autre côté de l'entrée de la tour. C'est là une disposition fréquente dans les tours de cette époque, afin d'éviter les trahisons et de forcer les personnes qui veulent monter sur les parapets de passer par l'une des salles. C'était un moyen de rendre la surveillance facile et de reconnaître les gens de la garnison qui montaient aux parapets pour le service; car les parapets des courtines n'étaient accessibles que par les tours, et les escaliers des tours desservaient, par conséquent, toutes les défenses supérieures. Nous avons figuré en G (fig. 17) le pont volant mettant en communication la grand'salle D avec le chemin de ronde de la basse-cour du côté du sud. Si, par escalade, l'ennemi se fût emparé du chemin de ronde H de la chemise, il lui fallait forcer soit la porte I, soit la porte K, pour pénétrer dans le château. Les postes établis en A ou en L le jetaient par dessus les parapets ou dans le fossé de la chemise. Le poste A servait la terrasse crénelée M, au-dessus de la porte, de même que le poste L servait le chemin de ronde N commandant le pont volant G. Quant à la garnison du donjon, du premier étage elle pénétrait sur le chemin de ronde de la courtine par un pont volant O, mais en passant par le corps de garde L.
Avec des défenses aussi bien entendues, il n'y avait pas de surprises à craindre, pour peu que la garnison du château connût parfaitement ces nombreux détours, les ressources qu'ils présentaient, et qu'elle mît quelque soin de se garder. Une vue cavalière (18), prise du côté de la basse-cour, fera comprendre les dispositions intérieures et extérieures du château de Coucy 71.
Il faut reconnaître qu'un long séjour dans un château de cette importance devait être assez triste, surtout avant les modifications apportées par le XIVe siècle, modifications faites évidemment avec l'intention de rendre l'habitation de cette résidence moins fermée et plus commode. La cour, ombragée par cet énorme donjon, entourée de bâtiments élevés et d'un aspect sévère, devait paraître étroite et sombre, ainsi qu'on peut en juger par la vue présentée (19) 72. Tout est colossal dans cette forteresse; quoique exécutée avec grand soin, la construction a quelque chose de rude et de sauvage qui rapetisse l'homme de notre temps. Il semble que les habitants de cette demeure féodale devaient appartenir à une race de géants, car tout ce qui tient à l'usage habituel est à une échelle supérieure à celle admise aujourd'hui. Les marches des escaliers (nous parlons des constructions du XIIIe siècle), les alléges des créneaux, les bancs sont faits pour des hommes d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Enguerrand III, seigneur puissant, de moeurs farouches, guerrier intrépide, avait-il voulu en imposer par cette apparence de force extra-humaine, ou avait-il composé la garnison d'hommes d'élite? C'est ce que nous ne saurions décider. Mais en construisant son château, il pensait certainement à le peupler de géants. Ce seigneur avait toujours avec lui cinquante chevaliers, ce qui donnait un chiffre de cinq cents hommes de guerre au moins en temps ordinaire. Il ne fallait rien moins qu'une garnison aussi nombreuse pour garder le château et la basse-cour. Les caves et magasins immenses qui existent encore sous le rez-de-chaussée des bâtiments du château permettaient d'entasser des vivres pour plus d'une année, en supposant une garnison de mille hommes. Au XIIIe siècle, un seigneur féodal possesseur d'une semblable forteresse et de richesses assez considérables pour s'entourer d'un pareil nombre de gens d'armes, et pour leur fournir des munitions et des vivres pendant un siége d'un an, pouvait défier toutes les armées de son siècle. Or, le sire de Coucy n'était pas le seul vassal du roi de France dont la puissance fut à redouter. Les rudes travaux du règne de Philippe-Auguste avaient non-seulement donné un vif éclat à la couronne de France, mais présenté pour lui cet avantage d'occuper sans trève sa noblesse, dont la guerre était la vie. Toujours tenue en haleine par l'activité et l'ambition de Philippe-Auguste, qui avait à conquérir de riches provinces, à lutter contre des ennemis aussi puissants que lui, mais moins opiniâtres et moins habiles, la féodalité perdait ses loisirs, et trouvait, en secondant ce grand prince, un moyen de s'enrichir et d'augmenter ses domaines; en lui prêtant l'appui de son bras, elle augmentait la puissance royale, mais elle n'avait pas lieu de regretter ses services. Il faut se rappeler que la plupart des seigneurs féodaux étaient entourés d'un certain nombre de chevaliers qu'on ne soldait point, mais
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Les peintures, en grand nombre, que l'on trouve encore dans les intérieurs des tours du château de Coucy, sont d'un grand intérêt, et nous aurons occasion d'en parler dans l'article PEINTURE.
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Nous espérons bientôt reconnaître et dégager l'ensemble des souterrains de Coucy et pouvoir dire le dernier mot sur cette partie si peu connue de l'art de la fortification au XIIIe siècle.
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Cette vue est faite au moyen des ruines existantes et de la vue donnée par Ducerceau dans ses
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Cette vue de l'intérieur de la cour du château de Coucy est supposée prise à côté de la chapelle regardant l'entrée. À droite, on voit se dresser le donjon avec sa poterne et son pont à bascule; au troisième plan est la porte principale et la chemise; au premier plan, la chapelle et le commencement du degré montant au chemin de ronde de la chemise.